Le bon âge
Depuis que les calendriers existent, les jours ont un nom et un numéro. Immuables, selon un cycle familier, ils reviennent avec leur chargement de souvenirs. Et si le monde est une scène, chacun célèbre le moment de son entrée. Chacun a son rôle à jouer - pour ma part, j'improvise. J'ai beau déployer toutes sortes de scénarios, rien ne se déroule comme prévu, heureusement.
Aujourd'hui, c'est ma date. Famille et amis ont une pensée pour moi et c'est bon.
Il y a 51 ans, il neigeait dru à Aubagne, glace et verglas, le Frioul blanchi, le Vieux Port gelé.
Aujourd'hui il pleut, j'aurais aimé un petit cadeau du ciel, trois flocons, je ne suis pas si avide, juste de quoi blanchir la campagne.
Mais bon. Le poêle ronfle, Fille mange des tartines de jambon près de moi, l'Homme lutte contre la sinusite et refuse d'aimer l'hiver. C'est vrai, il pleut comme vache qui pisse.
Pas de test du cocotier pour moi (grimper au sommet du Mourre Nègre) - on verra ça plus tard. Il me vient juste à l'idée de remercier mes Pénates - sur le poêle dans un plat en terre j'ai mis à chauffer des feuilles de sauge et des écorces de citron : je fais ma sorcière, ma sage femme, et j'aime bien ça. Il me semble que j'ai rejoint l'âge qui était déjà le mien, enfant. Je ne suis plus un imposteur (le mot n'existe pas au féminin). J'ai dix ans depuis 51 ans ou la cinquantaine depuis ma première dizaine, c'est selon, et ça me plaît. C'est peut-être ça la paix intérieure - se retrouver dans la bonne dimension, la quatrième ou la cinquième, et jeter les masques.