Melting moments

En ce moment envie de travailler avec le papier et l'encre - en vadrouille, difficile d'avoir un ordinateur, de l'électricité, une connexion internet. Il faut s'émerveiller de l'outil efficace que constituent un carnet et un crayon : discret, léger, utilisable partout, inépuisable ou presque. Pas comme l'appareil photo dont la batterie me laisse en rade au bon moment - ce que je voulais regarder mieux, plus tard, à loisir, autrement, ne pas oublier, je finis par le fixer par des mots. Ne jamais imaginer une seconde qu'une image puisse être objective. Le simple choix du cadrage, c'est inscrire ce qu'on prend en photo dans le subjectif, la fiction peut-être. L'élément photographié n'existe que par tout ce qui n'apparaît pas dans le cadre. Par le détail se rappeler le reste, tout le reste : les sons, les odeurs, les textures, la façon dont le temps s'écoulait, les réflexions intimes. La photo, un sésame pour un pan entier de la mémoire. Quelques mots tracés sur une feuille fonctionnent de la même façon.

A Lure, sommet enneigé, station de ski désertée, pas âme qui vive - au ras de la route une poudre de verre étincelle en nuées devant moi, une fantomatique et lilliputienne armée qui me fera battre en retraite. En montant je surveillais le thermomètre : 8° dans la vallée, 0° à la crête, mais le vent est si coupant qu'il fait pleurer.

Retrouvé un livre de recettes anglaises traditionnelles. C'est curieux combien la façon de cuisiner  outre-Manche dans la période de l'après-guerre a si durablement effacé le souvenir des merveilles que je découvre - une cuisine rustique, solide, coloré, savoureuse. Chaque nom de ragoût, de pâté, de tourte ou de pâtisserie une histoire en soi : melting moments, Cornish saffron bread, Shopshire soul cakes, devils on horseback.. A feuilleter le livre je ne résiste pas davantage. Je troque la bêche et les cisailles de la jardinière contre le beurre, la farine et les œufs - je m'affaire à la gueule du four. Alaïs qui travaille à son dossier pour le concours aux arts déco de Strasbourg n'aura pas l'air désappointé qu'elle a eu hier en visitant les placards en quête d'une douceur.