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Portes et Miroirs, tome II
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12 mai 2010

Cloître au printemps, sous la neige

Constance Laroche conservait les moments de bonheur, sous globe. Elle capturait ces instants subtils avec un art délicat, les suspendait pour jamais dans ces boules où d’ordinaire sont enfermées des représentations de monuments célèbres. On les renverse d’un geste, on y déchaîne une tempête minuscule, mica ou polystyrène. On se laisse aller à la contemplation. En pensée on déambule, à l’abri dans ces mondes parfaitement clos. Constance, le bonheur, elle l’observait en entomologiste, fascinée, déterminée à faire collection de toutes les variétés sous lesquelles il se présentait, de la plus naïve à la plus saugrenue.

Dans la vitrine de sa boutique située impasse Aulézy à Fréjus, sur un rectangle de carton-plume, on lisait cette annonce : J’immortalise votre bonheur, magie assurée. Au fil des ans, la collection de boules à neige qu’elle présentait à ses heureux clients n’avait cessé de s’enrichir. Constance, quand elle n’était pas occupée à ciseler avec minutie les éléments d’un décor commandé, s’attardait devant l’une ou l’autre des sphères cristallines. Elle collait à son œil une loupe, observait la scène et souvent déclenchait le séisme scintillant, le prolongeait parfois, tant il est vrai qu’un bonheur sans nuage devient insoutenable. 

Ce soir-là, alors qu’elle s’apprêtait à ranger ses outils, le carillon à l’entrée de la boutique tinta. Un couple, comme souvent. Ils arboraient un air béat, prélude à la commande. Lucas et Angèle venaient de vivre l’instant parfait entre tous ; ils rosissaient en le disant ; qui eût pu croire que ces deux... dans le cloître de la cathédrale… une épiphanie ? Etait-ce l’alcool bleu du ciel qui leur était monté à la tête ? Le puits enfoui sous le lierre échevelé ? Ou sur le plafond de la galerie, le carnaval des personnages peints qui se trémoussaient dans leurs tableautins ? L’âme de Lucas, celle d’Angèle, au lieu de se replier et de méditer sur les biens célestes se retrouvèrent à danser la gigue avec un homme à tête de carafe et une centauresse couronnée. Dans ce cloître (mais était-ce un cloître ?) ils se sentirent plus vivants que n’importe où ailleurs auparavant.

Et puis, par une série de rues enfilées au hasard, ils s’étaient retrouvés impasse Aulézy devant la boutique de Constance et avaient lu son annonce. N’était-ce pas un signe ?Angèle exultait. Par pudeur, pour taire l’essentiel, elle décrivit encore la lumière en filigranes d’or sur les dalles, le marbre blanc, le grès rose, la joyeuse confusion des iris charnus et des citronniers en fleurs, l’air sapide, la mer si proche. Lucas hochait la tête. Ils attendaient ainsi de Constance qu’elle sculptât, peignît, enfermât dans l’une de ses bulles légères ce souvenir dont ils se feraient cadeau l’un à l’autre. Constance annonça son prix, et pour sceller le marché, leur servit une liqueur de son cru dans des verres précieux, minuscules. Et quand donc pourrons-nous… Mais très vite, la voix de Lucas devint si grêle, si fluette, qu’une oreille humaine ne distinguait les mots qu’en exerçant une attention soutenue ; Constance avait l’habitude. Pour ne pas risquer d’assourdir les personnages à présent à peine plus grands qu’une phalange, elle chuchota : ne vous inquiétez de rien ; dans ce cloître vous resterez. Je saurai prendre soin de votre bonheur.

***

P1040600

Cette nouvelle a paru en décembre dans un recueil intitulé Cent monuments, cent écrivains, histoires de France.

Pas de neige ce matin, la campagne est feutrée, je me réveille tard. Bernard se prépare pour la répétition d'un concert que son groupe Kan-B donnera samedi à 20h au Grand Réal à la Bastidonne. Alaïs, elle, se prépare aux épreuves du bac à la façon de sa mère (moi...) presque trente ans auparavant - une bonne méthode, quoique inquiétante pour les parents...

Impossible aujourd'hui d'ajouter la moindre photo sur Canalblog - la magie de la technologie est fragile - ne pas l'oublier...




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