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Portes et Miroirs, tome II
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15 novembre 2009

Retour

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Je ne me presse pas ce matin, je bouquine avant de me lever ; l'hôtel est calme, j'entends les corneilles dehors. Sous le rideau, la bande lumineuse promet un temps sec. Oui, soleil pâlichon, c'est l'automne à Draveil.

Retour vers  Paris  à bord d'un RER presque désert : une femme seule, un couple et deux jeunes enfants - j'écoute les conversations. La femme seule lisait une revue sur la maladie d'Alzheimer lorsqu'on l'appelle au téléphone, on devine son rôle dans la famille. J'ai mis l'appartement en vente, dit-elle, mais je n'ai pas pu le laisser, non, je te dis que les squatters sont revenus. Penses-tu. Je n'en bougerai que lorsque le compromis sera signé. Mais je ne sais pas. Ecoute, elle est  - excuse-moi - elle est chiante. Oui, je suis pleine d'amour pour elle, mais je n'en peux plus. Non, je ne veux pas. Mais non.
Je l'écoute, les répliques de l'autre personne sont transparentes ; j'imagine une sœur plutôt qu'un frère, une sœur plus âgée, ma voisine la prie de surtout bien veiller sur sa santé. Au passage d'un tunnel, je regarde son reflet sur la vitre poussiéreuse ornée d'un tag bleu ciel. Ma voisine a les cheveux gris coupés court, une veste beige sur un pull-over à col cheminée du même bleu que le tag. Ma voisine, son visage n'est pas maquillé, elle n'a l'air ni triste, ni fatigué. Est-ce un effet du reflet, en réalité, elle n'a pas d'air. Fin du tunnel, ma voisine sur la vitre s'efface dans la lumière revenue d'un coup. La conversation est terminée.
Je m'intéresse ensuite - en même temps, plutôt - à la belle jeune femme assise un peu plus loin. Elle essaie de convaincre son compagnon : il lui faut poursuivre ses études en troisième cycle. Elle est assise très droite, mains croisées sur les genoux. Elle forme chaque mot avec soin ; à moi, il me semble qu'elle s'applique à la douceur. Elle ne veut pas que la discussion tourne à la dispute. Il ne faut pas que je reste à la maison. Si je ne suivais pas les TD à la fac, je serais perdue. Sur les genoux de son compagnon, un bébé aux grands yeux bave sur la manche de son père et joue avec un téléphone. Je crains que l'enfant tombe mais je me rends compte que le père, habile,  sans l'entraver, l'empêche pourtant de basculer. Son aisance m'impressionne en secret. La jeune femme sort un mouchoir, essuie les joues et la bouche du bébé. Le frère aîné, qui doit avoir un an de plus, essaie de s'emparer du téléphone, mais un seul regard du père, le dissuade du coup de force. La mère continue à parler, douce, déterminée. Sa peau noire est lisse, ses yeux ont un iris d'un noir tellement profond qu'ils sont entourés d'un halo bleuâtre.  Le père essaie de la convaincre de reprendre ses études plus tard. Je ne saurai pas l'issue de la conversation, ils descendent avant moi.

Châtelet - je suis étonnée du peu de monde. Le ciel a pris des couleurs, il a plu cette nuit, le goudron des allées est mouillé. Je passe devant l'église St Eustache, pleine comme un œuf. Dedans les fidèles communient, dehors les pompiers de Paris vendent leur calendrier ; deux jeunes gens face à face exécutent des mouvements en miroir, peut-être du tai-chi mais je n'en jurerais pas. Les sons semblent étrangement détachés de leur source, c'est peut-être moi qui à force de laisser traîner mes oreilles dans les coins, ne parviens plus à entendre correctement...
Je déambule le long de la Seine, déjeune d'une bavette à l'échalotte derrière le marché aux oiseaux sur l'île de la Cité. Plus tard, je suis impressionnée par la station de métro - on se croirait à l'intérieur d'un sous-marin russe.

Le soir, au pied de ma montagne, ce qui me frappe, ce sont les parfums : j'ai l'impression de retrouver mon sens préféré, celui qui déclenche le mieux le flux des souvenirs, celui qui me dispose le mieux au plaisir.

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