Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Portes et Miroirs, tome II
Pages
8 mai 2009

Une journée particulière

P1040436



















Hier, j'ai eu mon père pour moi toute la journée. Il avait besoin d'aller consulter un ophtalmologue dans une clinique d'Aix et j'ai pu le convaincre de ne pas y aller seul. Il a bien voulu se laisser conduire, ce qui n'est pas si simple pour lui. Il  avoue ne plus reconnaître les routes, tout a tellement changé, la circulation compliquée. Se garer aux abords de la clinique est impossible, je le dépose et le rejoins plus tard. Nous patientons, le médecin a du retard, comme toujours ; sur la table de la salle d'attente des publications aux titres encourageants du genre  
Quand la malvoyance s'installe.
Nous ne cessons de parler de tout et de rien, à ce signe on reconnaît l'inquiétude : l'attente du diagnostic, certes, mais aussi la volonté de ne pas laisser le silence s'installer. Être seuls tous les deux, sans ma mère, n'est jamais arrivé et de plus, je suis dans un rôle inhabituel, pour la première fois, c'est moi qui prends soin de mon parent, les rôles s'inversent.
Enfin la consultation a lieu, qui me donne l'occasion, une fois de plus, de m'interroger sur le vocabulaire si particulier aux médecins. Il parle de dégénérescence maculaire lié à l'âge, une étiquette qui ne me pose pas de problème de compréhension ; il parle de lésion non-évolutive, se montre rassurant, dit qu'il est inutile de proposer un traitement, il répète que la DMLA dont souffre mon père n'est pas évolutive et prescrit un fond d'oeil dans six mois pour surveiller l'évolution de la situation. Pardonnez-moi docteur, vous venez de dire et de répéter qu'il s'agit d'une lésion non évolutive et vous prescrivez un fond d'oeil pour surveiller l'évolution de la situation, je ne comprends pas. Mais madame, la lésion n'est pas évolutive pour l'instant, les choses pourraient changer, il faut surveiller.
Donc,
en parlance médicale, une situation susceptible de changer n'évolue pas. Oui, je sais, c'est d'une question d'échelle dans le temps qu'il s'agit ; dans le terme évolutive il y a une urgence, voire une impuissance à soigner. Dans surveiller l'évolution il y a la notion de vieillissement normal, inéluctable.
L'examen, incluant la dilation des pupilles, laisse mon père presque aveugle, je suis obligée de taper moi-même son code de carte ; je voudrais lui prendre le bras pour le guider dans l'escalier, dans la rue où le soleil au zénith (la journée ne peut pas être plus belle) le blesse malgré les lunettes de soleil, mais à la façon dont il ne cesse de parler, je vois bien qu'il ne le supporterait pas : je suis sur le qui-vive, chaque bord de trottoir, chaque dénivelé soulève en moi des problèmes métaphysiques insoupçonnés. Au passage clouté qu'il envisageait de traverser, je le retiens fermement, il n'avait pas remarqué la voiture qui ne se serait pas arrêtée.
Nous rentrons à Cabrières, il est presque trois heures, j'avais préparé à l'avance un déjeuner ; l'effet des produits s'estompe peu à peu, l'atmosphère est nettement plus détendue, il me raconte d'où lui vient la cicatrice qu'il a sur la cornée et que le médecin a mentionnée. Plus tard, il accepte de se reposer. Je vais chercher Alaïs au lycée pour qu'elle puisse passer du temps avec son grand-père. Nous le retrouvons au jardin, en costume et lunettes noires, très chic avec ses beaux cheveux blancs, une pioche à la main ; il a commencé une tâche de jardinage dont je lui avais parlé. Je ris et me mets à jardiner à ses côtés. Je voudrais planter un arbre de Judée à cet endroit, il me dit que c'était l'arbre préféré de son père à lui, je ne le savais pas.
Quand mon père repart en toute fin de journée, mon coeur se serre, ce n'est pas une métaphore ; la gamine de cinq ans au fond de moi refait surface, je voudrais qu'il reste. L'ordre des choses est restauré, pour un temps.

Publicité
Commentaires
Portes et Miroirs, tome II
Publicité
Portes et Miroirs, tome II
Newsletter
Derniers commentaires
Archives
Publicité