Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Portes et Miroirs, tome II
Pages
7 février 2009

La question des anémones

P1030763














A la radio, une journaliste récite, comme une litanie, toutes les atteintes à des libertés qui me semblaient tellement évidentes pour n'avoir pas eu le malheur de connaître autre chose, que, naïve, je les imaginais inaltérables et qu'il me faudrait trouver des champs de bataille différents pour donner un sens à ma petite vie (oui, c'est un peu grandiloquent, mais adolescente, c'était vraiment ce sentiment-là que j'éprouvais).

Elle énumère  : les six manifestants assignés en justice pour dégradation de biens publics (ils avaient dessiné un symbole de liberté au feutre rose sur le bouclier d'un CRS lors d'une manifestation de soutien aux étudiants grecs), les associations  qui défendent le droit des mal-logés et des sans-abris condamnées à de lourdes amendes, le militant arrêté qui depuis plus de 20 ans vend L'Humanité et distribue des tracts sur un marché de Paris, les enfants en camp de rétention près de Roissy ; je rapproche la liste énoncée par la journaliste du témoignage, à la radio toujours, du philosophe Pierre Lauret et d'un de ses collègues qui se rendaient à Kinshasa pour assister au congrès Culture du dialogue, les frontières et l'accueil des étrangers et qui ont été placés en garde à vue pour s'être enquis du sort d'un passager menotté  auprès des policiers qui l'accompagnaient dans l'avion. La liste est loin d'être close, de 2000 à 2009, la collection s'enrichit.

Je me suis toujours demandée à quel moment des années qui ont mené à la deuxième guerre mondiale certains se sont rendus compte qu'il fallait entrer en résistance et aussi comment certains se sont dit qu'accepter et faire le dos rond en attendant que ça passe était la seule chose raisonnable à faire. Je me demande également quelles raisons se donnaient ceux qui pensaient que la collaboration active était la seule solution intelligente à adopter. Je me pose des questions sur le fait que je fasse partie des gens qui font le dos rond dans leurs actes et s'indignent en paroles.
Par exemple, ce matin je suis allée travailler, j'accompagnais des élèves qui devaient faire un stage avec des forains du marché d'Aix. Il faisait un froid humide et le mistral se levait. J'étais contente d'être avec mes élèves, ma collègue, j'ai pris des photos. En même temps, il me venait à l'esprit que j'aurais aimé être seule un moment pour prendre des photos comme j'aime le faire, de très près, que j'aimerais un matériel adapté à ce type de prise de vue ; je pensais que prendre une photo, c'était comme écrire, au départ, un acte fondamentalement intime où la solitude est indispensable. A la terrasse d'un café, un homme assez jeune préparait des planches de bandes dessinées avec un feutre noir. Je suis restée devant les anémones un long moment et puis j'en ai acheté un bouquet pour regarder à mon aise leur coeur noir qui à la fois me fascine et me repousse : velours ras ou ventre d'araignée ? Voilà à quoi je pense, entre autres choses, alors que d'autres essaient d'agir pour que le monde où nous avons grandi confiants ne sois pas défiguré.
Demain après-midi, je vais au Hakuna montrer à quelques personnes comment faire des calissons.
Lundi après-midi, je serais à Bourg-Saint-Andéol puis en Avignon pour terminer un parcours. Je lève les yeux du clavier pour regarder le bouquet d'anémones que j'ai ramené du marché. Je ne sais pas très bien ce que je ressens ni ce que je pense, bizarre après avoir écrit tant de lignes : je mets ça sur le compte du verre de coteaux-du-Tricastin, cuvée Cerise Noire, 2006 et sur le fait que je n'ai pas encore mangé !

Publicité
Commentaires
Portes et Miroirs, tome II
Publicité
Portes et Miroirs, tome II
Newsletter
Derniers commentaires
Archives
Publicité