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Portes et Miroirs, tome II
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9 décembre 2011

Une géographie à inventer

477

Un invité de France Culture m'apprend ce matin que depuis le 8 décembre 1991 il n'existe plus d'ailleurs en ce monde. Nous irons donc n'importe où. Là où ça nous chante, ici ou là. Si l'ailleurs n'existe plus, il  faudra créer de toutes pièces une géographie nouvelle, inventer des cartes, déchirer les vieux portulans ou plutôt les conserver avec soin pour noter  mines,  impasses et chausses-trapes, ne pas s'y fourvoyer encore.

En avant-première de la grande journée de jardinage prévue mercredi, avec quatre élèves volontaires, nous déblayons un coin du futur potager ; là sont entassés une dizaine d'années de branchages, gravats, bouteilles, canettes et un cadavre de pigeon. Dans un angle, sous un marronnier attaqué par la mineuse, de forts blocs de pierre taillée ont été abandonnés -  impossibles à bouger. Certains pourront servir de bancs où méditer, d'autres, ma foi, j'imagine qu'ils pourront servir de base à une rocaille - géraniums vivaces, joubarbe, potentille... pourquoi pas. Les quatre garçons se servent de la pelle comme d'une massue, de la serfouette comme d'une herse, de la scie comme d'une tronçonneuse - je leur fais poser tout ça et leur montre comment mesurer chaque geste. Je suis surprise de constater à quel point ils m'écoutent. Je ne suis pas dupe pourtant : je sais qu'ils oublieront dès que j'aurai tourné les talons, pendant au moins vingt ans. Un jour, quand moi je serai beaucoup plus vieille encore, tout à trac, ce geste que je leur apprends de scier le bois posément, sans forcer, un pied sur le chevalet, leur reviendra. Pas la façon d'exprimer le but à l'aide d'un verbe à l'infinitif en anglais, mais ce petit moment au soleil , dans la cour du lycée. Les quatre terreurs me demandent si les prochaines fois qu'ils seront punis ils pourront venir travailler au jardin. A cela, je réponds qu'il n'en est pas question. Aujourd'hui, ils travaillent avec moi parce qu'ils étaient volontaires. S'ils sont punis, pas question de mettre les pieds dans le futur potager : travailler au jardin ne saurait être une punition ! Ils rigolent. Ils ont dix-sept, dix-huit ans, ils s'ennuient au lycée (ils rêvent d'ailleurs, mais on l'a vu, il a disparu, bien avant leur naissance), ils sont intelligents, tourmentés par leur âge. Je finis par les reconduire en classe où ils ont un devoir à faire. Une heure plus tard, celui qui aime les films de Tarantino et les livres de John Fante, je le retrouve dans le bureau de la surveillante, collé pour une énième peccadille. A son âge, il ne parvient pas à admettre qu'accepter un compromis n'est pas se compromettre.

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