No fishing - un souvenir de Portsmouth

"Qu'est-ce que vous prenez comme poissons, ici ?"

Ici, c'est la jetée de Southsea. Au loin, l'île de Whight et les silhouettes massives des forts construits au large pour se protéger de la flotte napoléonienne. Le jeune homme à qui j'adresse la question se dandine d'un pied sur l'autre, se frotte le menton et sa lèvre se relève sur des dents gâtées, disjointes, tordues, en une grimace mi- rictus provocateur, mi-sourire conciliant.

"C'est permis de pêcher ici, vous savez."

Je ris en lorgnant le panneau contre lequel il a appuyé ses cannes : "no fishing" peut-on lire en lettres rouges.

"Non, non, je vous assure, c'est permis de pêcher ici, regardez !"

Sa main souillée par les entrailles d'un poisson qu'il vient de vider désigne la rambarde en fonte ouvragée, style victorien. J'aperçois encore plus amusée une seconde pancarte où les mêmes lettres rouges proclament "no fishing". Le garçon semble découvrir l'inscription en même temps que moi. Il fronce les sourcils, contrarié par ce dédoublement soudain,  puis déménage ses cannes à pêches et les installe avec soin entre les deux panneaux..

"Voilà," m'explique-t-il d'un air visiblement soulagé,"là c'est interdit (il pointe le premier panneau) et là aussi (il pointe le deuxième panneau). Mais ici c'est permis !"  (il triomphe, paumes au ciel, bien campé sur ses jambes courtaudes et grêles).

Comme je ris franchement, il comprend que je ne suis pas chargée de faire respecter un quelconque règlement. Tout faraud, il me montre un seau rempli de poissons au long museau effilé et dont la bouche ébahie laisse voir une rangée serrée de minuscules dents aussi pointues que des aiguilles.

J'écoute Chris Rea : Gone fishing... ça colle à la brume et aux cornes des bateaux qui se signalent les uns aux autres. Je suis ailleurs.