Reprise

Laisser passer un jour puis l'autre, se retrouver quelque dix jours plus tard en ayant tant de choses à dire qu'il ne reste qu'une solution, se taire. Laisser les journées en pâte molle fondues l'une dans l'autre, l'arrivée des vendangeurs, les grèves, les manifestations, les chatons au biberon - ils ont grandi et passent leur temps à jouer à la bagarre : ils se forment pour leur vie d'adulte.

Lu ce matin dans le Carnet de Lettonie de Christophe Blain : la déprime, c'est mystique, c'est beau. Oui. Beaucoup de choses dans ce carnet (un cadeau de Vineta) me touchent : l'humour et l'auto-dérision de l'auteur, la sensibilité des croquis, des aquarelles où je retrouve l'atmosphère que j'avais entrevue à Riga en décembre dernier.

Hier matin, douceur, l'automne en funambule sur les collines et les vignes, le soir ciel en technicolor à la Douglas Sirk et pluie diluvienne, bref orage. Ce matin l'air est cru, la lumière vive. Il faudrait que je plante enfin mes bulbes de crocus à safran. Jusqu'ici, la terre était trop dure et sèche pour la travailler - j'y ai cassé ma pioche.

Tranquillement, je relis et corrige mon manuscrit qu'Hubert a fini par lire. Il faut te dompter, dit-il. Je m'y emploie. Mais je trouve l'exercice cruel - j'ai l'impression de voir la réalité avec les yeux d'une mouche, l'image en mosaïque, mille et une vérités et mensonges en tesselles. Alors oui j'accumule les points de vue, les métaphores et les mêle (méfie-toi des mixed metaphors), un mot en appelle trois autres à la rescousse (on voit que tu t'amuses bien, mais le lecteur se perd). Alors je fais des choix et bien sûr, le texte y gagne. On croit que l'écriture d'un roman est un exercice solitaire mais ce n'est vrai que jusqu'au moment où un regard extérieur est nécessaire - il faut prendre de la distance, retrouver une mesure de sérénité et de lucidité par rapport au texte, pour lui donner plus de force. Il faut être totalement en confiance, peut-être aller jusqu'à la connivence avec l'éditeur pour mener le roman à son aboutissement.