Terre

Ce matin j'ouvre une fenêtre, un chat veut sortir,  un autre hésite, je les pousse dehors tous les deux. La nuit reflue, révèle un unique banc de nuages tel une terre exondée, la lune achève son cabotage tranquille et moi, emmitouflée dans mon vieux pullover étoilé, je suis au spectacle, émue de me sentir seule dans la galaxie à cette heure. Le temps suspendu ne le reste pas longtemps, tout s'accélère, je m'en vais.
Au lycée, une exposition en noir et rouge rappelle aux adolescents que le sida est apparu voilà trente ans et que s'il faut que les corps exultent,  l'insouciance n'est pas de mise. Les malheureux, c'est qu'ils doivent aussi  se vacciner contre la grippe A - une élève vient me voir à la fin du cours : Madame, je suis mineure, mes parents ont signé le papier pour le vaccin mais moi je ne veux pas, qu'est-ce que je peux faire.  Pourquoi venir demander à son prof si on peut désobéir à ses parents ? Cela m'amuse, mais c'est vrai qu'elle bien jeune : alors je la réconforte, car je sens bien qu'au fond elle n'a qu'une envie, c'est leur obéir. Je me demande si ses parents lui ont payé un scooter : pour ces jeunes que l'on prétend protéger de tout, le risque d'être tué ou handicapé dans un accident de la route, surtout le samedi soir, relègue la probabilité de mourir de la grippe ou de subir les  éventuels effets secondaires du vaccin au rang de farce grotesque.

Ce soir, je regarde Le plaisir, de Max Ophüls.