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Portes et Miroirs, tome II
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28 novembre 2009

Labyrinthe

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Visite de Cadenet en travaux hier - je me perds dans le lacis des chemins et des ruelles. En désespoir de cause j'appelle l'ostéopathe chez qui j'avais rendez-vous pour lui réclamer un fil d'Ariane : je suis désolée, répond-elle, c'est la semaine prochaine que nous avons prévu la séance, impossible de vous prendre avant...
Je m'aperçois que mon mal au dos fluctue selon les contrariétés du moment ; j'allais beaucoup mieux cette semaine et me disais que je n'avais au fond pas de raison d'aller chez cette personne. Me rendre compte que j'avais la tête en l'air, l'esprit ailleurs ou le cerveau défaillant s'est aussitôt traduit par un regain de tension douloureuse...
Je me raisonne, prends la montagne du Luberon comme repère et me débrouille de trouver la sortie du labyrinthe où j'étais engagée, entre pelleteuses et bétonnières.
J'atterris à Lourmarin, une pensée pour Albert Camus  à qui on fichera la paix, je l'espère. A la radio j'entends quelqu'un souhaiter à peu près la même chose, qu'il repose sous le soleil pur de la mélancolie.
Par de petites routes bordées d'oliviers, de champs labourés ou en friche, je gagne Vaugines, Cucuron et enfin Cabrières - ciel blanc, nuages en altitude.

Ce matin il fait si bleu dehors que passer la matinée en réunion au lycée écorne ma bonne humeur. Mais je me laisse prendre au jeu des conversations ; j'éprouve un étonnement toujours renouvelé devant la richesse et la densité de ces brefs entretiens. Les fils et les filles, replacés dans le cadre familial,  se transforment ; souvent les mères  racontent combien jongler entre toutes leurs obligations est difficile, la salle de rendez-vous prend des allures de confessionnal parfois. Les échanges entre profs et parents ne sont jamais anodins, jamais fades.
En tant que mère d'élève, je suis jalouse des huit heures par jour que ma fille passe à l'école avec d'autres adultes qui l'influencent pour la vie entière. Un père m'avoue : je suis venu parce que je savais que j'apprendrais enfin quelque chose des projets d'avenir de ma fille. La fille, jolie, les joues caressées par l'or d'amples boucles créoles, me jette un regard en coin, confuse. Oui, poursuit-il, à nous, elle ne dit rien. Quinze minutes d'entretien, qu'on pourrait sceller dans une boule de verre avec tornades ou grand beau temps. J'ai rencontré douze familles et je ne compte pas celles qui m'ont interceptée dans les couloirs. Je crois que l'on devrait confier la scolarité des enfants à des sortes de moines et de moniales qui feraient vœu de s'occuper exclusivement de cela. Oui, comme les instituteurs à l'ancienne mode qui entraient à l'école normale comme on entrait en religion. Si on ne leur demandait pas de faire vœu de chasteté, on les engageait à choisir leurs compagnes et compagnons au sein de la même promotion afin que la famille entière se consacre à un seul but, l'éducation des enfants d'autrui.
Nom d'un chien, et moi qui vit avec un instituteur depuis vingt-cinq ans...

Allons, ouvrons vite une autre fenêtre : dans le four un cassoulet mijote à petits bouillons ; je vais récrire une page ou deux, repenser au merveilleux film de Max Ophüls, Madame de... qui dépeint le désir et l'amour avec une grâce aristocratique. Pas de discours solennels, une mise en scène spirituelle, une lumière sublime qui fait émerger les différents degrés de l'intimité et la fin, une tragédie aussi délectable qu'un orage d'été : dans les romans ou les films peut-on se contenter d'autre chose que l'absolu ?  Le compromis raisonnable n'appartient pas, dieu merci, au monde de la fiction...  Un tantinet mélodramatique, ton film, me dit-on : so what ? Je ne boude pas mon plaisir. Dans ma boîte aux lettres, d'ailleurs, Le plaisir, un autre film d'Ophüls. Pas encore reçu mes DVD de Woody Allen. Hier, j'ai essayé de regarder Sous un autre jour, un téléfilm français réalisé par un certain Alain Tasma avec Marthe Keller et Didier Sandre : les acteurs sont impeccables, les images laides, la mise en scène indigeste, le scénario pesant. J'ai tenu moins de vingt minutes, mais après Ophüls, la partie était perdue d'avance.

Je dois pondre une notule biographique pour le salon de Riga : que voulez-vous que les lecteurs sachent de vous ?  me demande-t-on. Mais rien, justement. Ce que je veux, c'est qu'ils lisent mon livre, qu'ils y trouvent ce qu'ils sont venus y chercher - je ne veux pas qu'ils me lisent moi... Même ce journal en ligne n'est pas une biographie, juste un témoignage de moments qui passent. Je passe et cela me trouble, tant mieux.

J'écoute le nouvel album de Sting, If of a Winter's Night, qui célèbre les facettes d'une saison que j'aime, mais oui. Il n'a pas la voix d'Andreas Scholl, pourtant ces chants, ces madrigaux, ces berceuses, je les trouve touchants interprétés ainsi,  voix ébréchée, érodée et douce : You only Cross my Mind in Winter, The Burning Babe et bien sûr, extraite du  King Arthur de Purcell, Cold Song. Je l'écoute en boucle dans ma voiture...

Du même Sting, j'avais été fascinée par son album Songs of the Labyrinth, un recueil de madrigaux mêlés à la lecture de lettres de John Donne. Awesome... L'impression curieuse d'écouter à la porte du salon de musique d'un hobereau mélomane sans être doué d'une voix particulièrement belle ; cela me touche et m'émeut comme un voyage dans le temps.

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