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Portes et Miroirs, tome II
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13 novembre 2009

Lenteur et censure

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Je soupèse mon petit bagage, y ajoute l'essai de Pascal Durand, La censure invisible. L'histoire de Marie NDiaye et du député UMP qui prétend lui dicter ce qu'elle peut dire en public ou non du moment qu'elle a le prix Goncourt m'incite à le lire...  Rien donc de plus spectaculaire que la censure en régime démocratique, écrit Pascal Durand. Oui, tous les jours déferle la vague de censures diverses dont celle qui voudrait museler Marie NDiaye est la forme la plus grossière et finalement la moins dangereuse : on la reconnaît immédiatement pour telle. Pascal Durand analyse des formes beaucoup plus insidieuses, celles qui nous enseignent le vocabulaire et la syntaxe qui nous conduisent à penser de la bonne façon, sans éclat, sans violence. Dans la société qu'Orwell décrit dans 1984, l'histoire est récrite et les dictionnaires mutilés ou modifiés par des employés de l'Etat totalitaire en place. La réalité dépasse la fiction, nos têtes sont farcies de clichés, une voix douce murmure à nos oreilles les mots qu'il faut écrire ou prononcer, même les mots de la révolte sont formatés par les journaux et la télévision ; uniformité, conformisme, la seule valeur qui nous guide est celle du mercantilisme. Et lorsque j'écris ceci, je m'inscris dans une autre série de clichés. Au fond, il s'agit sans doute d'adopter les clichés qui nous ressemblent le plus... Cet essai de Pascal Durand, je le trouve brillant mais il me démoralise !

La première fois que j'ai voyagé à bord d'un TGV, il y a très longtemps, j'attendais que mon expérience du monde sensible en soit bouleversée à jamais. Voyager à plus de trois cents kilomètres à l'heure devait forcément induire les prémices d'une métamorphose ; je m'attendais à éprouver cette sensation d'accélération constante qui vous cloue au fauteuil des avions lorsqu'ils décollent de la Terre. Non. Les paysages défilent, les corps à l'intérieur du train semblent isolés, hors d'atteinte. Ce n'est pas désagréable, c'est comme lire.

Gare de Lyon, RER direction Malesherbes, descente à Juvisy, je suis loin de la carte postale parisienne. On voit les traces d'un ancien village des bords de Seine mais tout est couturé de routes et de boulevards, les humains en voiture se transforment. Après trois heures de train, j'ai envie de marcher, je sais qu'il me faut traverser la Seine. Une femme à qui je demande mon chemin se détourne du sien pour m'accompagner, nous bavardons. Sitôt mon sac déposé à l'hôtel, je pars en exploration, essaie de me figurer une vie dans cet environnement - les pavillons du début du siècle derniers les allées de tilleuls et de marronniers, les groupes d'immeubles au loin, les eaux troubles du fleuve, les étangs. Plus tard, je dîne seule dans un restaurant japonais. Quelques clichés féministes m'interdisent dans un premier temps de lire en mangeant, mais si j'étais accompagnée, je converserais agréablement. Je ne le suis pas, donc je lis agréablement en tâchant de ne pas renverser le délicat empilement de riz, d'algues et de poisson sur mes vêtements. Je rentre en flânant puis regarde sur mon ordinateur The Duchess. Un beau spectacle, un peu froid ; c'est en visionnant les scènes coupées que j'entre vraiment dans le film. Bien sûr, en ôtant ces trente minutes, on obtient un rythme plus nerveux dans le goût de notre époque, mais on gomme la complexité des sentiments des personnages et le spectateur reste un peu sur sa faim. J'aime les lents développements, les déploiements minutieux. Et si la conquête du temps passait par la lenteur ?

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