Le temps reprend ses habitudes

La pluie annoncée est arrivée dans la nuit, je l'entendais sur les ardoises du toit, sur la lucarne. Ce matin, bruine persistante. Le chat jabote, sort un instant, revient vite. Il a l'habitude de toute cette eau, il ne secoue pas chacune de ses quatre pattes d'un air dégoûté en rentrant par la chatière comme les miens le font. Il laisse ses empreintes rondes et trempées le plus naturellement du monde sur les carreaux que je viens de balayer. J'ouvre la porte pour respirer, j'écoute la rumeur de la rivière au loin, je pense aux coquillages qui font entendre la mer quand on les colle à l'oreille, c'est le même son. Les brebis sur la colline bêlent ; le voisin lui a dû allumer le feu, je sens l'odeur caractéristique du charbon qui brûle dans l'atmosphère humide. J'aime cette odeur, elle porte en elle un lot d'images et d'histoires.
L'impression d'être coupée du reste du monde persiste, nous croisons peu d'humains ici : il semble que la vallée soit essentiellement habitée par les moutons, les chevaux et les faisans. Si j'avais la fibre religieuse, je pourrais aller à la messe ou au culte, écouter des sermons et aller boire le thé avec les paroissiens, la pratique paraît courante. Je préfère la bière du pub au vin de messe, mais au pub, on nous dévisage : les étrangers de la vallée de Tanat. Chacun vit sa vie de son côté, les touristes de l'un, les natifs du lieu ou les adoptés de l'autre. J'observe la surface des choses, envisage des hypothèses concernant les courants sous-jacents.
La pluie va durer, je ne prends pas la peine d'allumer le feu, nous allons plus au nord, vers Bangor et Caernarfon. J'aime marcher sur la plage, la montagne toute proche, le ciel sur mes joues et mon imperméable : si je ne suis pas liée aux humains, je touche la terre, l'eau et l'air, je fore un trou dans mon esprit et j'en ramène des sortes de carottes : comme un géologue, j'étudie les différentes couches, pose des dates, retrace le passé pour m'expliquer le présent. L'avenir n'est encore qu'une fiction.