J'ai cueilli des fleurs, digitales et scabieuses
Cabrières s'inscrit ce matin dans un rond de ciel bleu ; tout autour le brouillard, en train de fondre.
Hier
je suis allée au lycée d'Alaïs où des travaux réalisés en Arts
plastiques étaient exposés. Les thèmes choisis traversent les
générations d'adolescents, certains trouvent cela rassurant or je ne
suis pas sûre qu'il faille s'en contenter, de ce piétinement obstiné
dans le désenchantement soi-disant rebelle. Seule une vidéo tranche
par ses couleurs, son énergie et surtout son humour. Il s'agit d'une
sorte de minuscule comédie musicale filmée dans la colline sous la
pluie, un homme chante sous un parapluie rouge et ce n'est ni mièvre,
ni sentimental, c'est juste délicieux et bizarrement décalé, éloigné
des préoccupations typiques des jeunes gens que je connais. Après les
vidéos, je vais examiner les autres travaux ; je constate que ma fille
a un joli coup de crayon, de l'imagination et que la couleur lui vient
à l'esprit.
Plus tard, je lui propose de venir au cinéma avec moi
mais elle préfère profiter d'un peu de solitude à la maison, B* a prévu
de rentrer tard ce soir. Après avoir dîné avec elle, je vais donc voir
le film de Benoît Jacquot, Villa Amalia. Le premier quart
d'heure du film m'agace malgré Isabelle Huppert. Et puis,
insensiblement, je me laisse séduire ; en réalité je reste
intérieurement bouche bée (si c'est possible). Je ne savais rien ni du
film ni du livre dont il est tiré et je tombe pile sur ces thèmes et
motifs qui me trottent dans la tête depuis des années. Parfois, je me
sens comme une antenne qui capte les interrogations dans l'air du temps
et c'est toujours surprenant de découvrir d'autres personnes branchées
exactement sur la même longueur d'ondes. Je suis bien naïve ou juste
égocentrique ! Ne cherchez pas, je n'évoquerai pas ces thèmes ici, ce
n'est pas le lieu.
La forte impression que me laisse ce film, bien
qu'il m'ait déplu par bien des aspects, ne me détourne pas du quotidien
: allumer l'ordinateur, relire la page de la veille, étiqueter les
pots de confiture de griottes,
aller chercher le pain, mettre ma carte d'électeur en évidence... non
pas que je risque d'oublier d'aller voter, mais c'est une sorte de
symbole : ces élections européennes sont infiniment importantes pourtant ce n'est pas ce
que les médias donnent à voir, ça m'enrage. Le manque de vision,
c'est l'intelligence aveugle.
Je déjeune chez mes parents. En partant, sur un coup de tête, au lieu de retourner directement à Cabrières, je remonte la vallée de l'Eyrieu jusqu'au hameau de Riou. Je me rends compte que notre maison, quasiment intacte jusqu'à l'année dernière encore, n'aura plus désormais d'existence que dans ma mémoire. Les grands cèdres du parc ont été coupés, le jardin est à l'abandon, les toits sont envahis d'herbes folles, tout a l'air définitivement fermé. Des arbrisseaux étouffent le lit de la rivière où nous pêchions des vairons, le pont a été emporté, les fermiers ont planté des pommes de terre et des betteraves dans les prés, il n'y a plus de bêtes. L'endroit est devenu laid. Je m'éloigne, je ne m'appesantis pas sur cette coupure, je vais cueillir un bouquet de digitales et de scabieuses du côté de Vaugeron et puis voilà.