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Portes et Miroirs, tome II
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2 juin 2009

Au coeur de la nuit


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Je pensais être enfermée toute la journée, je me trompais, ma peine a été commuée. Cet après-midi j'en profite pour visionner un DVD trouvé par hasard la semaine dernière à Montpellier, Dead of Night (Au coeur de la nuit), un film anglais tourné en 1945 par Alberto Cavalcanti avec Michael Redgrave, le père de Vanessa. L'occasion de savourer un bon  film fantastique est rare.
Ici, aucun effets spéciaux, pas d'hémoglobine, pas de hurlements toutes les minutes, seulement le pouvoir des images qui laissent soupçonner qu'on ne voit jamais tout et la magie d'histoires racontées.
Un architecte est invité pour le weekend dans un cottage tout à fait banal, rosiers et pelouse, mais à peine arrivé, il est saisi par un pénible sentiment de déjà vu. Des invités sont déjà rassemblés pour le thé, l'atmosphère est des plus urbaines mais l'architecte, de plus en plus mal à l'aise, est contraint d'avouer qu'il voit en rêve cette scène depuis toujours. Chacun des convives va raconter une curieuse expérience du même genre, et
peu à peu le film est  ramené à son point de départ : l'architecte se dresse dans son lit affolé par un cauchemar, sa femme lui rappelle le rendez-vous qu'il a à la campagne et nous retournons au cottage du début...
J'apprends que c'est en voyant ce film que trois cosmologistes , Fred Hoyle, Thomas Gold et Hermann Bondi ont eu l'idée de développer la théorie d'un univers stationnaire par opposition à la théorie du Big Bang.  Ah bon ? Je vais un peu fouiller sur internet pour en savoir plus (j'ai l'air d'une poule devant une brosse à dents). Sur le plan littéraire, j'adore cette idée d'un univers stationnaire, une source de situations piquantes... si on aime bien comme moi, marcher sur le fil, funambule entre deux mondes... Mais ce qui me plaît le plus, c'est la conscience qu'aucune vérité n'est acquise, qu'à chaque instant les théories qui tentent de rendre compte de l'univers sont remises en question. Bizarrement, au lieu de m'inquiéter, ça me rassure...

Dans les journaux, après la grippe du cochon, on tire à la ligne sur l'accident du Boeing (ah non : c'est d'un Airbus qu'il s'agit, un A330... mille excuses, j'ai l'oreille distraite, ce n'est pas bien). On épand les théories, les conjectures, les interviews de spécialistes sur toutes les formes de média comme on épand le fumier dans les champs. Mais pour faire pousser quoi ?
Dans les médias, les journalistes paresseux ne parlent que des chiffres des sondages. Quand on voit la manière dont les questions sont formulées, on se demande comment des gens doués d'un minimum d'esprit d'analyse voire d'esprit critique peuvent ajouter foi à ces objets pré-fabriqués un centième de seconde. Et quand un journaleux annonce tout faraud que les sondages révèlent telle ou telle faribole il faudrait s'incliner ? Sondages et statistiques, deux inventions pour asservir les citoyens ; les chiffres, est-ce que ça pourrait être comme un rasoir dans les mains d'un singe ?

Dans Train de nuit pour Lisbonne, cette phrase se détache : (à propos d'un libraire qui vit en reclus dans une maison pleine de livres, et qui passe pour fou parce qu'il se laisse aller à faire et dire exactement ce qu'il veut)  : Ce qu'il semblait avoir perdu dans sa vie solitaire avec son chat, c'était le sentiment de la distance et de la proximité.

Il me semble à moi que de façon collective nous avons comme ce personnage perdu le sentiment de la distance et de la proximité (tout de même il y a des résistants...) : rien ne peut avoir de profondeur, tout est aplati sur une même échelle, on refuse d'utiliser le levier du temps pour soulever la masse d'informations qui déboulent et réfléchir tranquillement.

Je m'amuse sur un petit problème de traduction : le mot coeur qui entre dans les expressions  : au coeur de la nuit, au coeur de l'hiver, au coeur de l'été donne successivement in the dead of night, in the depths of winter, in the heights of summer. En anglais les heures les plus noires de la nuit sont comme un voyage de l'autre côté du Léthé, l'hiver nous ensevelit dans un abîme, l'été nous envoie aux cimes. Le titre du livre de Conrad, In the Heart of Darkness, a simplement donné Au coeur des ténèbres. Peut-être que le mot coeur est un tantinet galvaudé en français, j'entends mieux le mot heart.

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