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Portes et Miroirs, tome II
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20 janvier 2013

Ranger les souvenirs - Pierre Gilles Chaussonet aux Flots Bleus

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Rue des Flots Bleus, entre mer et collines depuis longtemps disparues sous les constructions et le goudron des rues, un homme d'âge mûr a poussé la porte du 10 bis.

Je l'ai suivi, à quelques semaines de distance. Le numéro est presque illisible, on passe du 10 au 12 sans comprendre pourquoi on ne trouve pas tout de suite ce qu'on venait chercher ici : les souvenirs d'un garçon de 11 ans qui a passé un hiver à Fria. Fria ? Je ne sais pas ce que c'est, où c'est. J'entends le nom pour la première fois.

Au 10bis de la rue des Flots Bleus une femme, menue et belle enrhumée, nous accueille et nous précède dans l'escalier de la salle où Pierre Gilles Chaussonet a entreposé ses souvenirs de garçon de 11 ans. Il se souvient des avions, des soldats, des bêtes dangereuses, des fleuves en crue, oui, des souvenirs de garçon. Souvenirs miniatures, déformés par le temps, conservés sous cloche, des boules à neige sans neige ni fioriture d'aucune sorte. Des soldats enlacés dansent dans des bouteilles - ballerines incongrues sur une boîte à musique silencieuse. Les souvenirs sont images floues, les proportions faussées - l'homme fait a reconstruit les souvenirs de l'enfant qu'il fut. Naïveté violente des scènes où des soldats minuscules tournent le dos, absorbés par un travail de déminage, et derrière eux un serpent énorme déroule ses anneaux. Lilliput, Brobdingnag.

Et voilà, le vertige me reprend. Encore une fois, je me rends compte (à la façon dont à 4h certains petits matins on se rend compte qu'on est mortel, c'est l'évidence), oui je me rends compte que les souvenirs sont fictions : leur auteur invente les cadres (lampes industrielles, du solide, pas de joliesses), la légende est incrite dessous avec des airs de nomenclature. Tout a l'air d'une précision extrême, on s'y retrouvera dans les rayons de la mémoire, archives bien rangées dans leur alvéoles, alvéoles sur étagères, pas de poussière, tout est scellé, étanche. Oui je me souviens très bien, dit-on avec assurance, le jour et l'heure du départ, l'avion qui nous a transportés... et pourtant, oui, pourtant, vu au travers du verre protecteur, ton souvenir, il est flou, entre détail d'un aileron rouge et approximation des proportions. 

Tu as vécu cet instant intense entre tous, il est inscrit par une opération chimique dans un coin bien précis de ton cerveau, gravé, un cliché que tu crois pouvoir tirer à ton gré. Tu le restitues à volonté, ce souvenir - mais comme il ne ressemble pas à la vie vraie ! Fiction, fiction, fiction, le flou rêveur des sténopés que tu partages aussi.

 J'aime que tu me montres l'incertude de ce que je vois, le vertige qui en découle.

 

 

 

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Commentaires
B
Merci !
A
très beau commentaire, votre visite d'exposition, on a envie d'aller du côté de Bompard et d'Endoume !
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