Planter
1er
mai, ciel houleux, sol détrempé, j'en profite pour semer un parterre -
pavots, adonis d'été, cerinthes et pois de senteur - toutes plantes
mellifères, du blanc au cramoisi. Cette année, il semble que dans mon
jardin les abeilles soient revenues en nombre, il faut les nourrir,
entretenir des parcelles de terre où les herbes dites mauvaises et les
bestioles peuvent se réfugier auprès des paresseux comme moi. Parfois je
sème, marcote, bouture comme aujourd'hui mais la plupart du temps je
regarde ce qui pousse de façon spontanée, le favorise si ça me plaît -
une forme de jardinage comme une autre.
Ce matin, alors que j'étais à la recherche de
documents sur les conséquences à long terme de la marée noire de l'Exxon
Valdez en Alaska en mars 89, je suis tombée sur des articles concernant
un nouveau genre de guérilla verte (oui, c'est le terme employé...) :
l'action est importée en France depuis peu d'Angleterre, des Pays-Bas
et de Belgique ; il s'agit de semer des graines de fleurs sauvages
susceptibles de résister à un milieu agressif et ne nécessitant pas de
soins. En France, l'action a tendance à prendre des formes plus légales
par l'intermédiaire d'associations qui travaillent avec les mairies. Il
s'agit de réintroduire des espèces éradiquées par l'agriculture moderne ou le jardinage citadin et de favoriser la diversité des espèces pour
leur éviter de crever comme les platanes, les ormeaux ou les
marronniers. D'autres groupes préfèrent agir dans la marge, planter
incognito de la bourrache dans un rond-point où les services municipaux ont
dessiné au cordeau des parterres d'œillets d'Inde et de pétunias, frissonner du plaisir de la rébellion, braver l'interdit - car oui Madame Michu, c'est un
délit, au même titre que taguer les murs et les rames de métro. Cette
forme de douce rébellion me séduirait si je n'étais effarée par le
vocabulaire utilisé - des brigades de jardiniers préparent des bombes
vertes dans le secret de leurs abris de jardin. Une visite sur les sites
anglophones me montre des grenades de graines prêtes à être
dégoupillées : il s'agit de boules d'argile mêlée de nutriments et de
graines, moulées en forme de grenades militaires. Certains innovent et
donnent au mélange des formes de révolver ou autres engins guerriers.
Qu'il faille lutter contre l'uniformisation imposée par les semenciers
industriels, je suis d'accord, qu'on sème partout où une langue de terre
n'est pas encore couverte de goudron ou de béton, oui, j'y souscris
mais qu'on verse dans le terrorisme vert en commençant par le verbe, ça
me débecte... Moi, je me vois beaucoup mieux en vieille dame indigne,
graines en poche et tout sourire, semant la vipérine dans les jardins
publics pour attirer les abeilles.
Mardi, à Aix, j'ai déambulé dans
un quartier alternativement éventré de chantiers en cours et de friches
et je m'émerveillais de la façon dont iris, rosiers, coquelicots,
pétunias revenus à l'état sauvage s'étaient emparé des moindres fissures
où il restait un peu de terre. Je me demande si par chez nous quelques
uns de ces jardiniers rebelles sont en activité. Je pense créer une
antenne à Pertuis où les rares espaces verts et les nombreux
ronds-points sont à présent couverts de mobilier urbain très laid et
d'apparence coûteuse, de plantes au garde-à-vous en arrangements
grotesques depuis que la municipalité a basculé vers une droite dure.
Pendant
ce temps, je n'ai rien trouvé de rassurant sur l'avenir à long terme
d'une zone contaminée par une marée noire. Le seul point qui joue un peu
en faveur du Golfe du Mexique par rapport à l'Alaska ou la Bretagne,
c'est l'importance du rayonnement ultra-violet et infra-rouge qui
accélère la décomposition du pétrole brut.
Pour ne pas sombrer moi
dans la dépression et rester pétrifiée par le sentiment d'impuissance,
je contemple les arbres dans mon microcosme et me réjouis des très vieux
cerisiers qui me promettent une abondante récolte, un bel ombrage pour
l'été. Les jeunots plantés il y a trois ans en prennent de la graine et
se déploient tranquillement.