Raoul

Hier soir je humais la neige qui s'épandait sur le jardin en une couche poudreuse, impalpable. En quelques instants, dans la lumière jaune des fenêtres on n'a plus reconnu les rosiers des cornouillers ou des spirées festonnés d'aériens flocons. Sucrés ? En cette fin d'hiver, je ne peux pas me résoudre à l'exécrer, la neige. J'attends, je respire comme je déguste un bon vin . Ce matin le tableau fond en douceur et ce soir, les couleurs et les odeurs sont celles d'un printemps installé. Tout ce ce dont je suis sûre, c'est que tout change continûment et mes mouvements d'humeur altèrent tout juste la surface des choses. Quelques signes tracés sur l'eau.
Dans le village, les fontaines silencieuses depuis plusieurs années se sont remises à couler, les sentiers que je parcourais à pieds secs se révèlent lits de torrents, les talus s'égouttent sur les routes. Cet été, on devrait éviter la scie sur la sécheresse. Ce qui m'irrite le plus dans le monde où je vis, c'est la façon dont quelques personnes à la radio et à la télévision s'emparent d'un thème, le déclinent ad nauseam, transforment en cliché rebattu la plus poétique des images. Nos esprits se recouvrent de callosités repoussantes aux endroits où frottent toujours les mêmes idées.
Les chats et les chattes du quartier courent qui le guilledou, qui l'aiguillette et appellent à grands cris rauques un certain Raoul. Il faut qu'il se montre enfin, celui-là, qu'on puisse dormir tranquille...

Cet après-midi je file au lycée ; dans mon bathyscaphe j'écoute, très fort, la chanson d'Arcade Fire, interprétée par Peter Gabriel : My Body is a Cage

My body is a cage that keeps me from dancing with the one I love but my mind holds the key I'm living in an age that calls darkness light though my language is dead still the shapes fill my head...