D'où vient que le ciel est bleu ?

Je ne vais pas au lycée aujourd'hui : mauvaise nuit. Heureusement, la campagne est allègre sous le soleil, cela m'aide à réfléchir mieux.
Je me disais bien que ce que j'avais écrit la veille me paraîtrait absurde au matin ; les discussions de la nuit, me le paraissent plus encore. Ce que je m'autorise lorsque j'écris, je me l'interdis dans la vie courante : le jeu des et si, les spéculations infinies sur les bifurcations et trifurcations possibles, mais une sorte de perversité nous y a poussés, nous n'avons pas su résister. Je pensais à cette phrase de Malraux qui orne presque tous les cahiers d'adolescents en âge de philosopher, la tragédie de la mort est en ceci qu'elle transforme la vie en destin  - en tout cas, adolescente, cette phrase je l'avais copiée cent fois, sur toutes les surfaces disponibles. J'imagine que d'une façon obscure, elle me paraissait consolatrice. Elle effaçait l'horreur de disparaître dans le magma informe de l'espèce, le retour à la poussière et la cendre stériles, anonymes - dust to dust, ashes to ashes. Sans en avoir une claire conscience, je me sentais consolée par ce terme inéluctable, la mort, qui viendrait comme un point d'orgue à une infinie série de choix minuscules ; elle justifiait hésitations et balancements sur un fil plus mince qu'une patte de fourmi parce qu'à la fin, les faisceaux des choix, les chemins qu'on avait décidé de suivre conduisaient là. Là, et nulle part ailleurs, là dans ces circonstances précises, la vie un tout dont l'apparent chaos n'est qu'un jeu de kaléidoscope : regarde, il y a bien une image cohérente, tu allais dans un sens tout à fait précis. et toi tu es bien un individu, avec une place précise, tu n'es pas là pour rien ou par hasard.. Et même, tu étais attendu, de toute éternité. Un leurre plaisant à mon avis ! Hier, égoïstement, au volant de ma voiture, je me demandais par quel enchaînement mystérieux cette journée mal commencée allait me conduire moi au point d'orgue qui justifierait tout.
Je crois bien que c'est en se laissant aller à ce train de pensées qu'on est tenté de se servir un pur malt à 11h du matin ou avaler un Lexomil, mais je vais plutôt faire honneur à mon patronyme et inciter Bernard à faire le tour des iris qui pointent, compter les boutons du viorne qui commencent à éclore et rempoter le sansévéria. Rien de tel. que le jardinage, les méditations suivent un cours plus raisonnable si l'on veut être capable d'enseigner avec efficacité et conviction  à ses élèves  les arcanes du présent perfect, ce pont entre le passé et le présent et qui n'existe pas en français, ou encore les mystères de la vie des rapaces nocturnes et la nécessité de respecter chaque maillon de la chaîne écologique. Je réglerai leur compte à mes personnages de fiction avec d'autant plus d'enthousiasme.

Le ciel est d'une hauteur incroyable, je respire, c'est merveilleux. On me l'a dit plusieurs fois mais je ne parviens pas à m'en souvenir (est-ce pour le plaisir qu'on me l'explique une nouvelle fois ?) pourquoi donc le ciel est bleu ?