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Portes et Miroirs, tome II
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4 janvier 2010

La meule et le sablier

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La pluie cette nuit est tombée à la régalade, je l'ai entendue battre les tuiles, tenace et appliquée, jusque vers 4h30 : impossible de dormir, j'étais aussi alerte qu'une truite dans un ruisseau, l'effet de l'eau vive sans doute. J'ai déménagé pour m'installer avec les chats et me suis plongée dans un roman de Margaret Drabble, The Witch of Exmoor. J'ai sombré dans le sommeil deux heures je crois, mais peut-être ai-je rêvé que je lisais. J'ai aussi récrit tout un chapitre du Corail, dans ma tête ; oui, j'ai dû rêver tout ça. Lorsque le réveil m'a tirée de ma transe, j'avais presque la nausée. Pas un seul flocon de neige au balcon, impossible de célébrer sa blancheur en me fourrant sous la couette au coin du feu toute la matinée. Je n'aurais pas cru faire cours ni papoter avec autant d'énergie aujourd'hui... Antoine me raconte les débuts de sa micro-entreprise d'élagage et d'entretien des jardins, je le vois bien en conversation avec les arbres. On échange des vœux, évoque les maladies, les misères des uns et des autres, la meule des jours qui fournit son sable au sablier.

Ce soir, j'accomplis machinalement mon devoir de gardienne du foyer, jette quelques légumes dans une casserolée de bouillon, des mots sur l'écran, mes yeux se ferment seuls, Bernard évoque sa nuit grise à lui.  Il a retrouvé une à une les paroles d'une chanson que je lui avais demandées, il ne l'avait lui jamais apprise pourtant il la savait, il se demande encore comment elles étaient logées là dans sa mémoire : la belle si tu voulais nous dormirions ensemble dans un grand lit carré couvert de toile blanche aux quatre coins du lit un bouquet de pervenches dans le mitan du lit la rivière est profonde tous les chevaux du roi pourraient y boire ensemble et nous y dormirions jusqu'à la fin du monde.

Je m'étonne de la rapidité à laquelle nos horloges se règlent sur un autre méridien sitôt qu'elles ne sont plus soumises à une contrainte extérieure : à l'intérieur de nos tanières entre écriture et lectures, les heures s'étirent et se déforment au point de n'être plus reconnaissables.

Ce matin, à la radio, j'écoutais le début d'une émission sur Camus, je serais bien allée jusqu'en Italie pour l'entendre jusqu'au bout, mais c'est façon de parler, il me suffit d'aller sur internet pour en reprendre le fil interrompu, défaire la pile des heures, des minutes et des secondes et me retrouver au début du reportage comme si l'intervalle de la journée au lycée n'avait jamais eu lieu. C'est ce que j'aimais en Islande l'été : ne jamais savoir dans quel sens le sablier s'écoulait et très vite n'y plus attacher aucune importance.

Dans la salle des profs beaucoup de voix murmurent : va-t-il neiger à la fin que nous repartions ? J'étais donc loin d'être la seule à ne pas avoir envie d'affronter la meule des jours, the grind. J'entends Chantal qui dit Oui, il n'y avait que toi et le chien de Philippe... Et pourtant il m'a plu au fond, ce lundi. Je vais ajouter du bois dans le feu, mettre la table.

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