Petits jeux avec le temps et la mémoire

La maison est silencieuse, le jardin tranquille : pas de vent mais le fond de l'air est frais. J'ai travaillé un moment sur la terrasse, je suis distraite par la lumière, les friselis, le moindre froissement, alors je retourne à l'intérieur. J'essaie de mettre de l'ordre dans une foule d'images, d'impressions et de sensations ; je me rends compte que le temps n'impose pas de hiérarchie, c'est troublant. Pas de ligne droite, pas de repère, les avant et les après sont flous. La seule chose qui impose un semblant d'ordre, c'est la conjugaison ; mais à chaque langue, sa conjugaison, donc une perception du temps différente. J'écoute une chronique d'Albert Jacquard, il évoque la théorie du Big Bang qui pose le problème du temps : avec le Big Bang naît le temps, avec lui l'espace. Oui, mais avant le Big Bang, avant que l'univers soit, qu'y a-t-il ? Rien, il n'y a pas d'avant, le temps n'existe pas. C'est idiot, mais quand je m'impatiente à la caisse du super-marché sous les néons blafards, quand je m'irrite des embouteillages, des litanies de repas à préparer, de copies à corriger, je pense au temps insaississable : volontairement je me donne le vertige et l'ennui du quotidien répétitif se transforme ; c'est très curieux, je pars en plongée. Je pense à autre chose, tout bonnement. Je crains moins de vieillir aussi, oui c'est idiot, je suis assez jeune pour que le subterfuge fonctionne encore, j'imagine...

Au Barroux, j'ai vu une forteresse splendide, de l'extérieur. A l'intérieur, elle est creuse, évidée, les escaliers ne mènent nulle part, les murs sont couverts de grafitti, tags, signatures et même un semblant de fresque ; aux fenêtres, des toiles d'araignée. Je ne sais pas quoi faire de cette image, mais j'y reviens plusieurs fois depuis que je l'ai vue. Quelles choses étranges on stocke dans nos mémoires !