Darwin

Darwin, bicentenaire de sa naissance aujourd'hui. Cet homme a l'étoffe d'un héros de roman, pourtant ce n'est pas sur lui que j'écris. La plupart du temps on simplifie sa théorie de l'évolution jusqu'à la caricature : la survie du plus apte, l'homme descend du singe... C'est beaucoup plus complexe et beaucoup plus vertigineux que cela. Dans ces carnets il avoue hésiter à communiquer sa théorie tant il a conscience de sa complexité et du danger qu'elle représente. Et il a raison, cent cinquante ans après, cette théorie continue à défrayer les chroniques. Je n'ai pas de culture scientifique mais ce que je retiens de mes lectures c'est la notion de la toute puissance du nombre et du temps : ce sont les seules conditions nécessaires à l'évolution de toutes les formes de vie sur terre. Ce qui me séduit aussi, c'est que sa théorie en aucun cas ne démontre une évolution en ligne droite vers le mieux : de l'amibe à l'homme. Il affirme qu'il n'y a aucun dessein discernable, que la nature procède par essais et tâtonnements et que souvent elle aboutit à des impasses. C'est vrai que ce n'est pas agréable de s'entendre dire tout à coup que l'univers n'est pas notre écrin à nous les humains, que nous sommes pas le dernier maillon parfait d'une longue chaîne construite dans le seul but de notre existence. Si ça se trouve, nous sommes peut-être l'une des impasses de la création ; à l'échelle du temps darwinien, ce n'est pas exclu.... Les créationnistes ont plus séduisant en magasin, nous sommes nés tels quels au sixième jour de la création, le consommateur adhère plus volontiers à ce discours... 40% des Américains souscrivent à cette thèse, les Britanniques itou. Je ne suis pas sûre que j'aimerais demander aux Français ce qu'ils pensent à ce sujet. De toute façon, moi y compris jusqu'à ce que je tombe sur l'image que Darwin a écarté au dernier moment pour visualiser la théorie de l'évolution, le récif de corail, j'avais le même schéma de pensée que tout le monde : une chaîne toute droite d'éléments, chacun supérieur au précédent. Le buisson de corail introduit l'idée de désordre voire d'anarchie, de la première importance de l'accumulation du minuscule, du sans grade,de la toute puissance du facteur temporel à des échelles vertigineuses, le tout laissé au complet hasard. Il brode aussi  sur l'idée que la vie se développe sur la mort., elle est le substrat indispensable à la vie. Au lieu de tracer une voie royale droite comme un I, il dessine un labyrinthe et brûle la carte, le centre n'existe même pas. Darwin ne rassure pas, il sème le doute et le cultive. J'aime ce type et son corail. Dommage, au dernier moment quand il s'est vu contraint de publier ses travaux sous peine de perdre vingt années de labeur acharné, il a hésité une dernière fois entre l'image du corail et celle de l'arbre pour faire passer sa théorie. Il a choisi l'arbre, si bien que lors d'un débat public, Samuel Wilberforce, évêque d'Oxford, a pu demander à Thomas Huxley, l'un des partisans les plus farouches de Darwin, s'il descendait du singe par sa grand-mère ou son grand père... Il répond que mieux vaut descendre du singe qu'user de son prestige pour ridiculiser une question scientifique sérieuse. Oui, il faut beaucoup de temps pour changer, la répartie de Thomas Huxley est toujours d'actualité !

A propos du corail et des ancêtres, dans La Tempête, Shakespeare évoque cette image renversante de beauté :
Par cinq brasses sous les eaux
Ton père étendu sommeille
De ses os naît le corail,
De ses yeux naissent les perles.
Rien chez lui de périssable
Que le flot marin ne change
En tel ou tel faste étrange
(Trad Pierre Leyris et Elizabeth Holland)