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Portes et Miroirs, tome II
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10 octobre 2013

Jekyll et Hyde

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Le vent se lève, vent de nord-ouest, par courtes rafales. La température baisse. Notre univers - impossible à concevoir - se déploie au-delà du bleu qui filtre au travers de nuages gris pâle et mat. Plat. Des traces de voyageurs s'effilochent en altitude. Il faudra rentrer citronniers, oranger, kumquat et jasmin du Brésil dès aujourd'hui - au plus froid de la nuit dernière, il a fait 3°.

Je travaille devant la fenêtre fermée et non plus sur la terrasse. J'observe les chats dont les jeux s'apparentent à un entraînement guerrier : lutte, saut d'obstacles enchaînés, grimpés du laurier du Portugal chronométrés. Le plus jeune, Faramir, dodu et débordant d'énergie, se jette dans ces joutes avec passion. Il a pour habitude de foncer tout droit vers ce qu'il cherche (à manger, est-il besoin de le dire) et quelques centimètres avant l'arrivée il freine des quatre fers et finit sa course en se laissant glisser sur les patins arrières... ça marche la plupart du temps mais il lui arrive de plonger dans le saladier d'eau ou le bol de croquettes. Voire contre la vitre qui donne sur la terrasse. Il prend l'air dégagé, comme s'il avait prévu ce scénario précis. Les adolescents, peu importe l'espèce dans l'ordre des mammifères, se ressemblent de façon étonnante.

Hier soir, une surprise. Vers 21h, Sacha, la petite chatte que les F. nous avaient confiée avec sa soeur Marie-Sophie, a reparu après plus de cinq mois de disparition. Je l'ai reconnue tout de suite malgré le poids perdu. Elle s'est dirigée aussitôt vers les croquettes avec de petits grondements, des ondulations de contentement lorsque nous la caressions et l'appelions par son nom. Hormis sa maigreur, elle avait l'air en parfaite santé, les coussins de pattes lisses mais pas blessés. Elle a dormi paisiblement après avoir englouti une énorme quantité de nourriture. On l'aurait dit soulagée et presque incrédule d'avoir enfin retrouvé une maison amie. Il faut dire qu'elle fait partie d'une portée élevée au biberon par Alaïs et moi il y a presque deux ans. Les F. avaient adopté deux des chatons à condition que nous les gardions lorsqu'ils partaient en vacances. Tout s'était toujours bien passé jusqu'au jour où Sacha a disparu de sa résidence secondaire de façon inexplicable. Mais ce petit miracle du chat qui réapparait après des mois d'absence est advenu. J'ai entendu des dizaines d'histoires à ce sujet, sans y croire vraiment, en me disant qu'elles donnaient juste l'espoir nécessaire pour que le chagrin de perdre son animal soit plus facile à absorber. Maintenant, je vois la lumière...

Brève mais intense conversation au téléphone avec L. La vie des humains est dure, complexe ; chacun à notre heure nous devons lutter. Lutter pour du travail, lutter pour que le travail précisément ne nous détruise pas, lutter pour plus de vie, lutter pour être libre, lutter pour plus de force, lutter pour plus d'amour, lutter pour rester lucide, lutter pour résister. Je plains ceux qui ne sont pas ou plus sensibles aux petits miracles du quotidien, à la profondeur d'un livre, à aucune des manifestations de la créativité des humains dans leur côté le plus noble, les Dr Jekyll - il y a beaucoup trop de Mister Hyde qui s'ingénient à nous pourrir la vie. Ce n'est pas près de changer.

Je viens de finir les Journaux de voyage de Camus. A présent, je lis ses Carnets. Tout comme lorsque je lis les Carnets d'Hubert Nyssen, j'éprouve un intense plaisir , l'impression d'entrevoir des étincelles pour éclairer les pistes à suivre. C'est qu'il fait bien sombre parfois. Tout carnet, journal, recueil de lettres est oeuvre précieuse. On ne pense jamais à poser les bonnes questions à nos proches. Que sait-on vraiment d'eux ? quelles rencontres, quelles maladies infantiles, quels mauvais ou bon souvenirs, quels détails de leur quotidien avant que nous ne le partagions brièvement, une vingtaine d'années au plus (et même pendant que nous vivions ensemble) ? L'oubli des petites choses, l'effacement volontaire de souvenirs ou bien des réponses difficiles à donner à haute voix. Quand les questions nous viennent, il est parfois trop tard, et de toute façon on en oublie toujours. Tenir un carnet, si modeste soit-il, c'est collectionner un ensemble de clés dont nous ou quelqu'un d'autre auront un jour besoin, même à des années, voire des siècles de distance - comme Hubert Nyssen se délectait du journal de Samuel Pepys et de la correspondance de Flaubert. Et il le racontait dans ses propres carnets en ligne.

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