Affinités

Par pure solitude devant l'écran et le clavier, j'écris moins souvent ici. Une lectrice m'adresse un signal de fumée, une autre m'assure qu'elle a passé un bon week-end dans les pages du Corail de Darwin - je  suis réconfortée, mes bouteilles atteignent des rivages.

Par pure flemme nous n'avons pas résilié notre abonnement à Télérama (la télé sert d'écran pour les DVD et le parisianisme outré de certains articles me colle de l'uticaire). Toutefois, grâce à notre nonchalance, je peux lire  un dossier sur un auteur américain, Laura Kasische. Les affinités que je découvre avec elle m'incitent à passer commande de son premier roman en espérant le coup de foudre et dévorer le reste, poésie et romans suivants. Elle ne dit pas autre chose que ce que disent tant d'autres auteurs, mais ce qu'elle révèle de son cadre de vie, de sa façon d'appréhender l'histoire de sa famille, ses affinités avec Mrs Dalloway et Bergman entre autres, font que je noue un lien, tout de suite.

... je suis très inquiète, je crois que ma poule rousse est morte. C'était ma préférée... Elle a disparu ce matin...

... j'aimerais que l'herbe soit plus haute, que la maison se noie dans la végétation...

... quand j'entame l'écriture d'un livre, je commence par définir l'atmosphère, les bruits, les odeurs, la météo, la nature...

... on n'avait pas le sens de ce qui pouvait déranger un enfant. J'étais fille unique, entourée de grandes personnes.

... je connais cette sensation de blocage, ce besoin irrépressible d'écrire sans être capable de le faire. J'ai cette impression que je ne vais jamais y arriver, mais je parviens toujours à me mettre à la tâche, et ça sort.

... chaque jour, malheureusement, la banalité d'être en vie reprend le dessus. Comme de la terre qui ensevelit sans cesse les trésors qu'on entrevoit dans des moments d'acuité. Ecrire empêche peut-être la terre de tout recouvrir.

Voilà. Je me sentirais bien avec cette femme, aucun besoin de parler, on serait assises sous un porche ou sur une terrasse, on lutterait côte à côte pour repousser la terre, sans paroles, juste en écrivant. Avec l'Homme, c'est ce que nous faisons.

Lilas, son éditrice est venue passer quelques jours de travail en vacances ; j'ai assuré l'intendance, une manière de procrastiner sans culpabilité aiguë. A présent, l'Homme resserre des boulons et développe quelques ellipses : le manuscrit s'achève, le livre est sur le point de naître. Parution chez Fayard au printemps 2014. Faux Miroir, un beau titre, à deux majuscules.

Mon Ici même est à l'état de tout jeune manuscrit, le coeur bat depuis le début, on distingue ses contours, ses formes dans l'ombre de la matrice, mais la gestation est loin d'être terminée.

Dans une dizaine de jours, la rentrée - la 27ème. Pourtant les cauchemars ne me lâchent pas : cette nuit j'étais encore invisible, aphone, inaudible. Il me semble que je serais inquiète de ne pas cauchemarder ainsi rentrée après rentrée - douter de soi, c'est être encore neuf.

Comments

[Sylvie]

Je vous envie la découverte qui vous attend! Nous (je dis nous, parce que j'ai tendance à parler au nom de mes collègues en médiathèque), nous donc, connaissons Laura Kasischke depuis son premier roman "A suspicious river". Et depuis, aucun ne nous a déçu. C'est exactement ce que reflète l'entretien de Télérama: une belle image, en apparence idyllique, mais les failles et l'ombre ne sont jamais loin. Certains textes sont plus durs que d'autres, dans le sens où la violence y est vraiment présente, mais l'auteur nous embarque et nous n'avons pas le droit de fermer les yeux. Je pense notamment à "La couronne verte". Quand à l'avant-dernier, "Les revenants", c'est une pure réussite.

Belle rentrée littéraire! Mais c'est encore un peu les vacances...