Mémoire

Chaque jour est un petit peu différent du précédent. Souvent la différence est minime, il faut chercher le détail dans la lumière, le rythme, les images, les rencontres, les rêves de la nuit. Si je n'enregistre pas ces minces différences, ces événements minuscules, alors ces journées sur terre deviennent une routine ennuyeuse et une fin du monde peut apparaître comme une alternative joyeuse, une promesse riche de multiples possibles .

Oui mais j'écris. Alors la fin du monde, c'est juste l'un de ces fantasmes récurrents dans l'histoire de l'humanité. Les millions et les milliards d'années qui sont comme l'éternité à l'aune d'une vie d'humain  nous effraient. Nous avons besoin d'introduire des signes de ponctuation dans cette phrase qui nous coupe le souffle - aller à la ligne, envisager de boucler le chapitre, voire refermer le livre : l'intrigue nous échappe, les personnages débordent... Et si nous recommencions du début ? Créer le point final pour se donner une finalité, aller vers un but précis, se donner quelque chose à faire dont on voit le bout. Survivre. Un bon petit projet. Survivons, ce sera déjà ça. Après on pourra envisager de vivre, pourquoi pas ?

En attendant j'écris. Pour moi c'est vivre fort. J'explore les interstices, je vais et viens dans une chronologie qui m'appartient, je me dédouble à volonté et comme dit Hubert Nyssen deux tiens valent mieux qu'un tien tu l'auras. Je "monte" à Paris pour assister à l'hommage qui lui est rendu à l'occasion de la sortie posthume de Dits et inédits - recueil de textes que j'ai trouvés en fouillant dans des piles de documents oubliés. C'était ça nos master classes. Hubert m'avait donné la permission d'explorer des textes de jeunesse et installée à la petite table près de fenêtre, devant le platane, je les confiais aux fichiers d'un ordinateur. Au début de ce travail, lui révisait Les Déchirements, ensuite il a écrit et révisé L'Helpe Mineure, et pour finir, il est passé à L'orpailleur - une histoire qui ne verra pas le jour, l'auteur ayant manqué de savoir vivre pour l'unique fois de son séjour en ce monde. Assis à son bureau, devant la fenêtre où le sage et la cigogne sont toujours installés, dans ces moments, nous étions de silencieuses et studieuses ombres chinoises.

Pour parvenir à l'auditorium de la BNF plein à craquer, il faut franchir trois sas de métal riveté, un décor à la Metropolis de Fritz Lang, futur dans le passé. Alberto Manguel, Josyanne Savigneau et Pascal Durand évoquent l'oeuvre d'Hubert et le comédien Gérard Desarthe lit des extraits d' Imagerie délicieuse, un texte de 1946 - Hubert avait 21 ans lorsqu'il l'a écrit. C'est beau, simplement beau - les images, le phrasé, les émotions. Je suis touchée lorsque Françoise me remercie d'avoir retrouvé ces textes qu'elle aime - tu m'as rendu mon père, grâce à ces textes, dit-elle. Oui ce petit volume, Dits et inédits, est un beau livre.

Mes croquefruits. Quel titre aura ce livre quand je l'aurai sorti de moi ? Avril, ce serait le bon moment pour remettre un premier jet, me susurre ma gentille éditrice. Une histoire qui se déroule à Marseille pour 2013. Le projet est cohérent... Il va falloir me mettre dans des parenthèses étanches pour y parvenir : vacances de Noël, février... Avril dis-tu ? Oh my God. Cesse de procrastiner - ferme ce fichier, ouvre l'autre...