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Portes et Miroirs, tome II
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17 juillet 2010

Touristes en pantoufles

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Après la flânerie dans Arles que je connais encore moins qu'Avignon - je suis confortée dans ma conviction qu'il faut être étranger aux objets, aux personnes et aux temps pour espérer les connaître : observer à distance. C'est le parfum qui m'a apporté le premier élément de cette conviction. Je suis incapable de l'apprécier lorsque je le porte, il me réjouit lorsque je le hume dans son flacon ou lorsque je retire ou retrouve un vêtement dont il est imprégné.

Alaïs et son ami sont restés, dubitatifs, devant les photographies de Zhang Dali. Avec Bernard, nous décidons de voyager à l'étranger, en touriste chez nous - le pays de notre langue maternelle -, et parcourons les quais, les thermes de Constantin et pour finir, restons plusieurs heures dans le musée Réattu.

Une nuit, alors que je longeais le quai du Rhône après une lecture au Méjan pour récupérer ma voiture garée tout au bout, j'ai passé la façade de ce bâtiment, les fenêtres chuchotaient avec les reflets de la lune sur le Rhône. Je serais restée là des heures, entre malaise et fascination, sans savoir du tout que je me tenais derrière ce fameux musée... Nous allons de salle en salle, et chaque vue sur le fleuve et ses remous où glissent les silures silencieux nous donne envie de rester plus longtemps. Il n'y a presque personne, le gardien dans la salle consacrée aux photos de Pierre Jahan nous adresse un large sourire. Je contemple longuement les séries La mort et les statues et Le retour des œuvres au Louvre. La splendeur des tirages argentiques,  les infinies subtilités du noir au blanc nous confondent dans un plaisir nostalgique.

Plus que jamais Bernard et moi nous sentions étrangers à l'air du XXIème siècle, non distants mais plutôt discordants en silence - si cela peut signifier quelque chose - lorsque nous découvrons la chambre d'écoute et les explorations sonores d'Hanna Hartman. Nous sommes seuls et ne nous retenons pas de nous allonger sur les coussins en forme de galet, Bernard au centre de la pièce, moi juste en face d'une fenêtre qui donne sur le Rhône. Hanna Hartman est de la même époque que nous mais c'est peut-être parce qu'elle est suédoise, qu'elle vit dans un autre pays que celui de ses origines, que l'étrangeté de son travail nous séduit. Bernard ferme les yeux, plus tard me confie qu'il a voyagé très loin sur les sons. Moi, les yeux rivés au fleuve, je suis les méandres de ce paysage acoustique, me dessine une carte mentale des lieux. Bien plus tard, un autre touriste vient interrompre la sorte de transe où nous étions, nous lui laissons la place pour qu'il y déambule à son aise, et surtout parce que nous regrettons, nous, de ne plus y déambuler à notre aise.

En descendant l'escalier, nous avons la surprise de découvrir Alaïs et Thibault, sur le canapé rouge du balcon, attachés à des casques, eux aussi fascinés par un autre paysage sonore - celui composé par Joaquin Cofreces dans The Last Voice - un écrin de sons autour de la voix d'une femme Yaghan, de la Terre de Feu, la dernière sur la planète à parler sa langue. Sa voix est claire, elle articule chaque mot distinctement, une trace ferme, une empreinte profonde, avant que la langue ne disparaisse avec elle.

Nous rentrons au soleil déclinant par la route de Montmajour, décidons de nous arrêter au Mas de la Dame pour y goûter du vin. Longue conversation réjouissante avec un Anglais installé dans les Alpilles depuis trente ans. Il veut connaître mon accent lorsque je parle sa langue, décrète qu'il décèle une pointe d'américain. Je m'en défends - j'ai fait une longue cure de films et de séries américains récemment, c'est sûrement la seule raison... - Frank Huyler et Holbrook Robinson, indigènes d'Amérique, n'étaient-ils pas surpris de mon accent britannique ? L'homme est jovial, épanoui, rubicond, la séance de taste-vin tourne à l'apéritif - il affirme qu'il se doit de contrôler la qualité de ce qu'il vante - et en riant plaint ceux qui ne boivent jamais car lorsqu'ils se lèvent le matin, ils ne peuvent pas avoir l'espoir de se sentir mieux à aucun moment de la journée.

Ce matin je découvre un entretien avec Hans Magnus Enzensberger - je ne le connaissais ni d'Eve ni d'Adam, hélas , mais voilà une nouvelle porte à pousser - et tombe en arrêt sur deux passages qui sont l'écho  de mes obsessions :
Au cours d'époques difficiles comme le nazisme, la quantité de héros est minime. La plupart des gens sont pleins d'hésitations, de nuances. [...] C'est un sujet de conversation assez récurent avec Hubert.
J'aime la compagnie d'auteurs anciens, l'anachronisme. Ne pas être en phase avec le moment où on vit, c'est comme une migration dans le temps qui vous aide à mieux voir l'époque où vous vivez.
Cela aussi est un sujet fréquent de réflexion(s).
Continuons, la piste que je suis me paraît une bonne piste, même si je sais qu'il en existe d'autres. Moi, je marche sur celle-ci.

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