Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Portes et Miroirs, tome II
Pages
9 avril 2010

Relâche

P1070839



















Hier, la promesse de soleil n'a pas tenu et la fine poudre s'est dispersée en bruine dans les nuages, en pluie franche plus tard et pour dire la vérité, j'en suis soulagée, ne suis pas la seule... A  vivre dans une ville pour un temps compté, on se traîne chaque jour à marche forcée dans la vaine tentative de tout voir, tout absorber - on se retrouverait vite à dire j'ai fait les Ramblas, j'ai fait le marché Santa Caterina, j'ai fait Gaudi, j'ai fait Barcelone... Or il n'y a pas d'expression que je déteste plus que ce faire là. Au fond, dans une ville inconnue, ce que j'aime le plus, justement, c'est ne rien faire. Je regarde, je marche, si je savais dessiner comme Alaïs je m'assiérais à côté d'elle pour croquer aussi ce qui l'enchante ou capte sa curiosité,  pour mieux la connaître, contempler l'empreinte de la ville sur elle ; je me contente de prendre des photos pour ruminer les images plus tard, d'écrire et d'aller au hasard.
Alors voilà, hier nous avons ruminé de conserve les sensations accumulées des jours précédents, chacun dans l'antre que nous nous sommes choisi et vraiment l'appartement d'Ole et Bö est une merveille  pour ça : mon refuge c'est le balcon cerné de vitres et de plantes au bout de l'atelier de Bö. J'y suis suspendue au-dessus du flot de la rue, de l'incessant remuement de la ville, et là, oui, j'écris tranquille, je lis en compagnie des chats parfois car ils nous visitent à tour de rôle. L'homme barbelé de Béatrice Fontanel me tient en haleine du début à la fin ; j'aime infiniment sa façon de tresser les lianes de violence à la beauté déchirante d'un potager, les allers-retours dans les échelles du temps, la fine observation des débats intimes jetés dans le bouleversement des guerres.
En fin de soirée, d'un pas nonchalant, nous renonçons à trouver un restaurant précis que Bö et Ole nous ont pourtant  conseillé et allons au hasard dans le Bario Gotico. La température est douce, les pavés luisants, des vendeurs à la sauvette sur une place lancent à hauteur des toits de minuscules fusées bleues qui retombent en tournoyant et jettent des lueurs de feux d'artifice silencieux. Aucun vrombissement de moteur, mais le brouhaha des conversations, une rumeur de galets roulés dans un torrent printanier, étincelant et vif. Nous trouvons le restaurant que nous avions décidé de ne pas chercher, tout près du musée Picasso, nous y voyons un bon signe, avec raison. Origines sert une délicieuse cuisine catalane, on y écoute du blues, on y parle de musique, de voyages avec un étonnant serveur polyglotte et orné de favoris époustouflants... Il évoque le temps qu'il a passé en Louisiane et plus tard le long de la route 66. Un voyage qu'il faut faire seul. J'acquiesce, Bernard a l'air dubitatif. Je pense pourtant qu'il est des voyages qui s'apparentent à des explorations intérieures, une méditation sur sa géographie personnelle dont la cartographie ne peut pas être établie correctement à deux ou à plusieurs.
Tard, nous retournons au Castillo Mendez Nunez et je m'aperçois que, ça y est, je ne me trompe plus de rues, je suis capable de m'orienter sur la grille de la ville. Car cette ville est construite sur un plan grillagé, même le Bario Gotico, plus treillis,  il est vrai, que grille orthonormée comme  dans l' Eixample. On se circule ou déambule sur cette grille, abscisses et ordonnées, calcul savant ou évaluation grossière, et nos pas multipliés dessinent par-dessus un lacis de déplacements , un plan intangible que nous gardons tatoué en mémoire ; sans cesse aux croisées des avenues, des rues, des venelles,  scellées dans les murs, des herses de fer, des mailles de métal tressé en reflets aux vitres, des fascines de glycines aux balcons, aux clôtures, Barcelone tressée dans une manière de clisse qui l'orne et la protège, un écho des moucharabiehs mauresques.  Pour finir, je m'y retrouve - j'ai placé mon Nord, mon Sud, mon Est et mon Ouest, mon mercredi de sieste et mes autres jours de déambulations, portée par la curiosité et le plaisir. Si on me demande où se trouve la maison (car pour la semaine la maison d'Ole et Bö, c'est la nôtre, nous nous sommes adoptés elle et nous), je peux dire c'est par là en indiquant la direction de la main, sans erreur. Evidemment cela ne marche que si l'on est à pied...

Publicité
Commentaires
Portes et Miroirs, tome II
Publicité
Portes et Miroirs, tome II
Newsletter
Derniers commentaires
Archives
Publicité