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Portes et Miroirs, tome II
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1 avril 2010

Fil et boucles du temps - L'esprit et la langue

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J'enfile mes vêtements à la lumière jaune d'une lampe, n'ouvre les volets qu'ensuite. Printemps et fine soie, à pois, dehors le Luberon en sanglier noir couvert de neige fraîche. En avril, ne te découvre pas d'un fil, ce n'est pas seulement pour la rime.

En revenant à l'entrée du 1er avril 2009, je m'aperçois que je lui avais donné sensiblement le même titre,  commis la même erreur de garde-robe (je ne retiens  donc rien de ma propre histoire ni de mes sottises ou imprudences ?). Il pleuvait alors, il a neigé cette nuit ; au déjeuner dans la salle des profs nous avions évoqué le destin et ses points d'orgue ; je cite en me trompant un aphorisme que j'attribue à Cocteau (je note au passage que je lui attribue beaucoup de choses à Cocteau...) pour le questionner, la mort transforme la vie en destin. Je vérifie, plus tard, et c'est Malraux qui dans L'espoir écrit : La tragédie de la mort est en ceci qu'elle transforme la vie en destin. Et un coup de tonnerre ponctue la phrase, comme pour se moquer de moi ou imprimer de manière définitive - quoi ? Et la phrase, et la conversation qui tournait autour, l'idée que jamais il ne faut relâcher la vigilance sur les mots, les siens comme ceux des autres? Que je ferais mieux d'aller enfiler un pullover avant d'attraper la crève ? Il y a des boucles dans le temps, celui-là qui se joue de nous, avec ses histoires de calendrier, drôles de poissons d'avril qu'il nous pend au nez à chaque instant. Au fond, nous ne cessons de voyager dans cette dimension, la machine non un assemblage de bielles, de courroies, de soupapes, de puces électroniques mais des infusions de molécules chimiques, des impulsions électriques à l'intérieur d'une boîte aussi poreuse qu'étanche, c'est bien mystérieux. Les voyages entrepris à l'intérieur du cerveau humain sont une étrange et puissante chose, le vacarme de cette évidence me retient de m'y arrêter - allons, un lieu commun, tu ne vas tout de même pas stationner là... et j'ai tort - j'aime céder au vertige que cela me cause.

Le temps - je fais lire à B. une lettre reçue d'un des élèves qui a étudié Les fantômes de Sénomagus en classe, à Laval. Il est en seconde, il doit avoir quinze ans ce Yves Joâo, et il m'écrit : ...votre roman m'a vraiment fait réfléchir sur l'attitude que je dois adopter quand je suis face au bourreau qu'est l'âge. Certains parmi nous ont une conscience aiguë du temps. Cette phrase écrite par ce garçon si jeune, me coupe le souffle et font se télescoper tant d'images. J'avais oublié que la douleur qu'il nous inflige n'est pas l'apanage des seuls adultes, Yves me le rappelle.

Plus tard, je raconte les rencontres exceptionnelles à Laval, quelques uns de ces trajets fulgurants à l'intérieur de soi. Ici, dans cette sorte de journal en ligne qui s'apparente assez à de la photographie puisque de chaque billet je choisis le cadrage, le point de vue, le temps d'exposition et toutes sortes d'autres paramètres, je tourne autour du pot ; il faut que j'ordonne mes souvenirs d'une autre manière, il me faut les revisiter dans la tranquillité, je n'en parle pas encore.

Longue discussion sur la traduction, le pouvoir de la langue maternelle, des langues que l'on apprend plus tard, la façon dont on les utilise pour entrer dans la fiction. Encore une fois une boucle : Sorj Chalandon, le soir de l'inauguration de ce 18ème festival du premier roman-début d'une œuvre à Laval, bien en peine de citer des éléments biographiques pour me présenter, s'est demandé si j'avais écrit quelque chose dans mon blog exactement un an auparavant, soit le 26 mars 2009 : eh oui, elle avait écrit quelque chose - et de citer une formule que j'avais oublié : moi, quand je plonge dans la fiction, j'enlace l'insaisissable. J'ai béni ma bonne étoile de ne pas avoir seulement évoqué l'embouteillage du matin, le dilemme du déjeuner (sandwich ou salade ?), le grésillement banal du quotidien, la friture, le pense menu de certains jours. J'avais bien fait d'écouter la radio dans l'embouteillage, la chronique d'Alain-Gérard Slama en l'occurrence... Ce jour-là je m'étais arrêtée à un de mes vertiges et j'avais eu envie d'y céder : ils ont une façon à eux d'ordonner le chaos, faire naître du sens lorsque rien ne semble en avoir.

Oui, je ne me sens pas captive de l'insaisissable comme le disait Alain-Gérard Slama des amateurs de fiction ; la fiction j'y plonge, un vaste océan où je pêche. Ma ligne, c'est ma langue maternelle, celle de ma mère et de mon père, mon appât, ma langue paternelle : c'est ainsi que j'ai envie de nommer cette langue, l'anglais, que j'ai choisi d'apprendre et qui me permet de  lancer mon esprit dans le monde extérieur - l'explorer de la langue, le titiller, le goûter, le lécher,  le laper - l'expérience profondément sensuelle de l'écriture. Mon esprit, ma langue.

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