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Portes et Miroirs, tome II
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18 février 2010

Territoires

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Les nuages salés ont dégorgé toute leur eau et ce matin un large trou dessine un puits bleu, le soleil au milieu : la température est douce, des pousses écarlates  grandissent sur les tiges nues des rosiers ; il faudra les tailler, choisir le moment car il pourrait geler encore, c'est même sûr.

En attendant, les poissons rouges dans leur baquet font des ronds entre les racines des iris d'eau et je retourne à mon clavier. Je veux mériter la promenade que je médite. Bernard resté éveillé une partie de la nuit à cause d'une fulgurante douleur à l'oreille dort encore - l'aspirine ?

Avec moi il n'y a que les chats, le rayon de soleil qui scande la matinée sur le plancher, la rumeur d'un tracto-pelle qui bouleverse une rue dans le village portée par l'écho. De loin je vois des canalisations, des tubes, l'argile et le sable en monticules. Poussée de croissance du village, il faut étendre tous les réseaux, l'eau, l'électricité. En vingt ans, la population a triplé, nous faisions partie de la première vague d'immigration citadine et oui on nous a demandé nos papiers d'une certaine manière. La boulangère de l'époque m'avait déclaré tout net : ici, on n'aime pas les étrangers. Native de la Destrousse dans les Bouches du Rhône, elle était si bien assimilée à la population locale qu'elle s'incluait dans le on. J'ai eu la satisfaction mesquine de penser qu'elle était bête et le mauvais pain que je lui achetais jusque là par esprit de solidarité villageoise, je l'ai laissé sur son comptoir et n'ai pas remis les pieds dans la boutique pendant plusieurs années. Elle est partie, a cédé la place à une accorte boulangère chez qui j'ai plaisir à me fournir en baguettes et croissants. Nous parlons de tout, de rien, tout le monde l'aime bien, le pain est bon.

C'est curieux ce côté archaïque qui nous pousse à délimiter des territoires, le cerner de barrières et d'interdits, se chercher des racines ou d'autres raisons loufoques pour justifier les portails ostentatoires et les caméras pour surveiller sa propriété. Je dis ça parce qu'une balade que j'affectionnais le long d'un talus où poussaient au moins trois espèces d'orchidées, des soucis, des géraniums sauvages, des muscaris, des peignes de Vénus et des Adonis d'été a été défigurée par un animal territorial de ce genre.

Avec Chantal qui me précède de quelques années sur le chemin de l'âge, yeux bleus, cheveux flambants, nous parlons des esclavages minuscules du quotidien, la libération des femmes retournée comme un gant ; et puisqu'il faut vieillir sinon mourir, nous évoquons la façon dont certaines personnes affrontent la vieillesse sans sous-estimer l'ennemi, avec intelligence et dignité, des exemples dont il faudrait se nourrir, du présent à célébrer. Elle m'offre des cornes de gazelle, je lui offre du café. Je retourne à la fiction.

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