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Portes et Miroirs, tome II
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9 mai 2009

Brodeuses

 

 

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Ce matin, je suis partie avec Elise à Budapest, virtuellement, en lisant la dernière entrée de son site ; ce n'est pas un journal, elle y affiche des humeurs, beaucoup de paroles de chansons, des impressions de voyages, de lectures... J'aime voyager avec Elise.

La météo avait annoncé une journée grise, elle s'est trompée, c'est heureux. Hier encore je me disais que j'allais travailler, mais il y a du monde à la maison ; l'effort pour se concentrer est trop grand, je renonce. Je finis par comprendre la raison du branle-bas au village (parcours fléchés, parkings aménagés, navettes,défilé de flâneurs) : en allant chercher le pain, je passe devant l'ancien moulin à l'huile, il abrite une exposition sur les arts textiles (broderies, dentelles et patchwork). Je ne pratique pas cet art mais je crois bien avoir été marquée par Angélique, le personnage de la brodeuse dans Le rêve de Zola et depuis, en songe, je contemple des piles de linge rangées dans de vastes armoires parfumées de grains de lavande, je fantasme sur de somptueuses broderies que j'invoquerais d'un coup d'aiguille ... Juste un plaisant mirage qui ne tient pas à prendre corps !

Mais, lorsque j'entre dans le moulin, je suis émerveillée par les ouvrages exposés, issus de la collection d'une certaine Monique Alphand ; des pièces des XVIII° et XIX° siècles de toute beauté. J'ai du mal à croire que je ne suis pas en présence d'oeuvres d'artistes contemporains tant la plupart sont loin de tous les clichés qu'on peut avoir en tête concernant les "ouvrages de dame". Il y a surtout des patchworks où sont assemblés de petits coupons de soie, bourrette, brocart, ottoman et tussor, de la laine aussi, des cotons, des gazes, des mousselines... Les couleurs jabottent entre elles, chantonnent ou déclament ;  un jeté de lit du XVIII° constitué  de bretelles de costume masculin brodées de personnages facétieux, d'oiseaux ou de plantes m'enchante. J'imagine, étant donné l'ampleur du travail, que les femmes de la maisonnée se retrouvaient autour de l'ouvrage : il doit garder, emprisonnés dans les fils, les échos des conversations, les riens du quotidien, les confidences, les silences, les amertumes, les désirs, les résignations, de menues révoltes peut-être... Ces travaux évoquent aussi le long ennui des femmes de la bourgeoisie ou de la petite aristocratie condamnées au fil et à l'aiguille sans pouvoir se mêler aux affaires du monde. Ce qui est sous nos yeux aujourd'hui sont les pièces les plus fines, les plus inventives, conservées avec soin parce que leur beauté est indéniable.

A un autre endroit du village sont exposés des patchworks d'artistes américains, mais aussi le travail virtuose de femmes d'une communauté Amish. Je suis séduite par un tapis qui représente une poule aux couleurs éclatantes, chaque morceau de tissu est traité comme une touche de peinture, le tout rehaussé de broderies délicates, c'est un homme, David Taylor, qui en est l'auteur. Je m'interroge sur la dénomination "art textile" ; serait-ce parce que de nos jours les hommes s'en mêlent aussi ? Plus tard, je vais jeter un oeil curieux sur les manifestations organisées sur le même thème dans les autres villages, mais l'enchantement est rompu, beaucoup trop de tapisseries prétentieuses, surchargées, franchement laides.

J'ai envie de revoir Brodeuses, le film superbe d'Eléonore Faucher, tout en délicatesse. J'adore la scène où l'apprentie-brodeuse se glisse sous le métier à broder pour contempler l'envers du travail  de sa maîtresse et où la caméra révèle l'onirisme des points minuscules, les transparences des jours, les échappées de couleurs et suggère des correspondances magiques entre idées et matières.

Le soir, une surprise m'attend dans ma boîte électronique. Comme je ne reconnais pas le nom et que le message comporte une pièce jointe, je manque le détruire sans autre forme de procès : c'eût été dommage, car c'est une proposition pour participer à un ouvrage collectif, Une histoire de France en 100 monuments ; je dois cette proposition à Jean-Marie Blas de Roblès qui avait aimé mes Fantômes de Sénomagus. Quand je découvre la liste des autres auteurs invités je sens un frémissement que je vais éviter d'analyser : je vois Julia Kristeva, Robert Badinter et surprise, Hubert Nyssen ! J'ai les mains moites... Dans la liste proposée j'ai choisi le cloître de la cathédrale de Fréjus pour son bestiaire et ses motifs végétaux fantastiques. Dans ce lieu réservé à la méditation dont le coeur est un puits et un jardin, j'entrevois les passages d'un monde clos  à l'espace grand ouvert de l'imagination la plus débridée. Samedi matin, j'irais à Fréjus pour me rafraîchir la mémoire. 

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