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Portes et Miroirs, tome II
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16 janvier 2009

Piège à rêves

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Nuit hachurée de rêves étranges, d'images plutôt. Quelqu'un n'aurait-il pas déjà inventé une machine à capturer les rêves ? Il y a bien les attrape-rêves des Amérindiens mais il s'agit de pièges à cauchemars plutôt. Nous en avions acheté un pour Alaïs au lac Kashe, en Ontario. Non, ce que je voudrais, c'est un genre de magnétoscope afin que je puisse revoir ces images de la nuit. A tête reposée. Sur le projecteur, j'apposerais un triple code d'accès, non que mes rêves soient inavouables (ceux qui le sont doivent être l'objet d'une telle censure que je ne peux m'en souvenir d'aucun...), mais j'entends bien cultiver mes jardins secrets tranquillement.

Ce matin j'écris de 9h à 15h, j'ai oublié de déjeuner. Certainement, écrire est une manière d'enregistrer un rêve éveillé, le matériau est aussi retors,  aussi peu docile ; il faut le travailler sans relâche pour le rendre ductile, comme le mensonge, dixit Anatole France*. Sauf que le roman n'a rien à voir avec un mensonge, c'est juste une réalité fabriquée de toutes pièces et bâtir des murs avec ces pièces-là nécessite l'apprentissage de solides techniques d'architecture, et ça ne s'arrête pas là : il faut encore la patience d'assurer un suivi des travaux sans faille .

Je décide de faire un pique-nique ambulant, de profiter du soleil et de la douceur. J'ai mes écouteurs sur les oreilles et je flâne. J'observe un homme qui taille les cerisiers. Il est perché dans un arbre, je ne vois pas très bien ce qu'il fait, il est à contre-jour ; je finis par me rendre compte qu'il s'adresse à moi et j'enlève mes écouteurs précipitamment, ça le fait rire. Je suis contente qu'il soit d'humeur à tailler et ses cerisiers et la bavette, je n'aurais pas osé l'interrompre de peur qu'il tombe, funambule sur des branches bien frêles ; pourtant non, il est à l'aise, un vrai chat. Il m'explique son travail, nous parlons du village, de l'état du monde, comme il va sur la tête, absurde, sens dessus-dessous et combien nous avons de la chance. Je comprends qu'il s'ennuyait à travailler seul dans son verger. Je reprends le fil de ma promenade, en me disant que moi aussi, il faudrait que je m'occupe de mes arbres. Je longe un champ ; des pierres, des stèles brisées où des noms se perdent sous la mousse y sont entassées : les restes d'un cimetière Vaudois, des amandiers ont pris sa place.
Je rentre et suis de nouveau happée par mon ordinateur : c'est une bonne journée, j'en profite, parce que je sais très bien que demain en ouvrant mon fichier, je me sentirai frustrée ; le matériau qu'il me semblait avoir modelé à ma convenance aura mystérieusement pris de faux-plis, voire je ne reconnaitrai rien de ce que je croyais avoir écrit ! Mais j'apprends la patience et la force du travail, je fais confiance à mon guide.

* Le mensonge, au contraire, a des ressources merveilleuses. Il est ductile, il est plastique (France, Anneau améth., 1899, p. 196) 


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