Jouer dans la rue
Ce matin, à Aix, je déambule ; les places sont presque désertes, pourtant c'est le jour du marché. Je croise un homme qui parle tout seul, il fixe le sol du regard : tu veux rester sur Aix, monter à Gap, aller chez Miette ? Tu veux quoi Elodie ? Je passe. Je note l'usage de la préposition sur : je descends sur Marseille, je reste sur Cambrai. Moi, je remonte vers la
cathédrale, prends une enfilade de petites rues où le silence est si intense que je le palpe, presque, un peu méfiante, mais non, il dure. Ou bien je suis devenue sourde. Un
vieux chien fait la sieste près d'une de ces plaques en fonte qu'on
trouve partout en ville : mon regard une fois attiré, je ne vois plus
qu'elles et les mots qui y sont gravés. A la marelle, je joue et commence à pont pour franchir des eaux, j'évite la mousson, et le vice, je bondis par-dessus et ne me tords pas la cheville, j'y pense à mes chevilles à cause d'e l'expression avoir le vice chevillé au corps. Autre chose peut-il être chevillé au corps ? La vie, la foi ? Au trot, je poursuis le jeu, un coup de dés, oui, vive le hasard, je gagne une seconde de plus.
Je flâne, l'air est vif, j'ai les mains gelées et chaque seconde au
soleil tranquille de cette rue est un minuscule bonheur, qui ne me
coûte rien, n'enlève rien à personne. Je prends des photos et suis
toute absorbée par ce que l'objectif me révèle : quelle porte
ouvre cette serrure à mes pieds ? Par le trou j'entrevois une
silhouette qui me fait signe. Je suis Alice, je n'ai bu que de mon
infâme Lipton Yellow ce matin, pourtant j'ai rétréci et me promène dans
un curieux labyrinthe. Ce monde minuscule me donne le vertige. Dommage,
je dois retourner en cours, je me promets de revenir. Jouer dans la rue, à la marelle sur les plaques d'égout pour faire la nique au temps qui pour nous file tout droit sans idée de retour.